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EMILE MOSELLY - ÉDITION COMPLÈTE DE SES ŒUVRES

Édition complète des œuvres d'Émile Moselly, Prix Goncourt 1907 - Chez TheBookEdition.

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Déja parus, disponibles chez TheBookEdition, FNAC, Rakuten...

LES CAHIERS 1890-1914
NOUVELLES, PORTRAITS ET CROQUIS, Volume 1
NOUVELLES, PORTRAITS ET CROQUIS, Volume 2
LA CHARRUE D'ÉRABLE
JEAN DES BREBIS OU LE LIVRE DE LA MISÈRE
TERRES LORRAINES
LA HOULE
LE JOURNAL DE GOTTFRIED MAUSER suivi CONTES DE GUERRE POUR JEAN-PIERRE

A venir

LE ROUET D'IVOIRE
L'AUBE FRATERNELLE
LES RETOURS
JOSON MEUNIER
FILS DE GUEUX
LES ÉTUDIANTS
GEORGE SAND
LES GRENOUILLES DANS LA MARE

Rédigé le 09/09/2023 dans Moselly | Lien permanent

EMILE MOSELLY - LE JOURNAL DE GOTTFRIED MAUSER ET LES CONTES DE GUERRE


Le Journal de Gottfried Mauser a d'abord été publié en quatre épisodes dans le journal Le Temps des 16, 19, 25 décembre 1915 et du 1er janvier 1916. La version du livre, plus longue et définitive, a été éditée aux éditions Ollendorff en juin 1916.
Les Contes de guerre pour Jean-Pierre, eux, paraissent, à la Librairie Berger-Levrault le 20 avril 1918. Ces deux publications encadrent pratiquement la durée de la Grande Guerre et forment une contribution significative d’Emile Moselly à l’effort de guerre et à la narration de son histoire.

A la veille de la guerre de 1914, E. Moselly est une personnalité reconnue.
Comme professeur, les proviseurs le recherchent pour lui confier une classe de première là où il le désirerait, Neuilly ou Paris. Ce sera finalement au lycée Pasteur de Neuilly. Avec un de ses collègues, Armand Weil, il a publié à Toulouse en 1911 un ouvrage classique Le Français de nos enfants. En 1913, il publiera, toujours avec Armand Weil, chez Larousse, une anthologie littéraire et artistique : Contes et récits du XIXe siècle (1).
Comme critique littéraire, il consacrera des chroniques et études à Emmanuel Delbousquet (L'Âme Latine, 1909), Lucien Descaves (Editions Sansot, 1909), René Perrout (Le Pays Lorrain, 1909), George Sand (Editions d'Art et de Littérature, 1911), Guy de Maupassant (La Revue Bleue, 1914).
Comme romancier, après le prix Goncourt en 1907, il publiera Joson Meunier (Ollendorff, décembre 1910), Fils de Gueux (Ollendorff, juin 1912), La Houle (l'Humanité, juin 1913, ouvrage repris à titre posthume en 1931 aux éditions Bourrelier-Chimènes), Les Etudiants (La Grande Revue, 1911 et 1912, réédité en 1919 chez Ollendorff).
Comme nouvelliste, il écrira pour de nombreux journaux (L'Humanité, Le Temps...) ou revues (La Revue Hebdomadaire, La Revue Bleue, Le Pays Lorrain...) dans lesquels il publie régulièrement des contes, des nouvelles et des chroniques. Entre 1908 et 1914, on recense la publication de 30 nouvelles et chroniques (2). Et il reçoit, en 1913, la croix de Chevalier de la Légion d'Honneur.

En juillet 1914, il cherche un logement pour sa famille et, en attendant, réside à Eaubonne chez la mère de sa femme. Fin juillet, il ramène sa mère de 75 ans à Eaubonne et ferme la maison de Chaudeney, qui restera vide. E. Moselly n'y reviendra pas.
Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France. La veille, E. Moselly, qui avait été mobilisé à la caserne de Toul, est réformé en raison de sa santé fragile. En septembre, E. Moselly conduit sa famille se réfugier à la Motte Saint-Héray dans le Poitou et il fait sa rentrée le 7 octobre au lycée Pasteur de Neuilly.

E. Moselly a alors 44 ans. Il a acquis une réelle notoriété, reconnu principalement pour ses qualités d’écrivain régionaliste, chantre doux et mélancolique de la Lorraine et de ses petites gens. Ses origines lorraines, les récits de son père Achille qui avait fait les campagnes de Crimée et d’Italie, les lectures des guerres napoléoniennes de Erckmann-Chatrian, la mémoire douloureuse de la guerre de 1870 lui ont conféré, malgré son humanisme, une profonde animosité à l’égard du "boche".

Le journal de Gottfried Mauser (1915) et les Contes de Guerre pour Jean-Pierre (1918) ne sont pas ses seuls écrits "de guerre" ou sur la guerre. E. Moselly publiera plusieurs nouvelles entre 1915 et 1918 : Canons de Lorraine (La Revue Bleue, 1915), Simple aveu (Le temps, 1915), Le crime de l'Allemagne (La Revue Bleue, 1917), Nausicaa (La revue des Deux Mondes, 1919), Prières pour nos morts (Revue France, 1918) et Bautru, soldat (La France Nouvelle, 1918). Toutes ces nouvelles sont précédées de Dernier séjour en Lorraine datant de 1914 (publié par le Pays Lorrain, à titre posthume, en 1931) (3) comme si E. Moselly renonçait à écrire sur sa terre natale et ses habitants, sur ce coin de Lorraine animé des vibrations des feuillages, des lumières et des parfums tout au long des boucles de la Moselle qu’il aime observer et raconter. Tous ses écrits à partir de 1914 traduisent son grand désarroi face à la guerre qui se concrétise alors.

L'assassinat de Jean Jaurès, le 31 juillet 1914, dont il est un grand admirateur pour ses prises de positions sociales, humanistes et pacifistes, va, paradoxalement, faciliter le ralliement d'E. Moselly, comme beaucoup de socialistes et plus généralement de la Gauche de l'époque, à l'Union Sacrée. Ses écrits prendront alors une tournure plus belliqueuse et vengeresse, même si - et alors qu'il a dû souffrir, du fait de sa situation de réformé, de ne pouvoir participer physiquement à l’effort de guerre - il exécrait le statut de militaire. Aussi s'emploie-t-il par l’écriture, la seule arme qu'il sait manier, à combattre de toutes ses forces l’ignominie de l’agression "boche" et l'avilissement par la violence qui n'épargne ni les bourreaux, ni leurs victimes.

Avec Le Journal de Gottfried Mauser, il nous fait entrer dans le quotidien d'un allemand, professeur de musique raffiné, pétri de culture romantique et animé de valeurs supérieures, enrôlé pour combattre dans les rangs de l’armée du Kronprinz et qui se révèle, au fur et à mesure de l’avancée des troupes allemandes à travers la Belgique jusqu'à l'arrivée en France, un acteur impitoyable des plus monstrueuses atrocités commises alors.

E. Moselly ne décrit pas des faits de guerre, il raconte la barbarie qui se déchaine contre les civils. L’abondance des détails et le réalisme des situations décrites forment une dénonciation véhémente des crimes de guerre. C’est ce qui donne toute sa valeur à cette contribution.

E. Moselly n’est pas allé sur le champ de bataille mais il en a recueilli toute l’horreur grâce aux multiples témoignages et reportages publiés dans les journaux de l’époque. Et il trouvera dans la presse toute la matière nécessaire à son récit, presse qui commente au jour le jour "les opérations militaires", les avancées et les reculs des armées (sur les fronts belge et français comme sur le front Est dans les Balkans) mais aussi "les crimes de l'Allemagne" (Le Temps, Le Matin, l'Est- Républicain...) qui reprennent parfois les "rapports et procès-verbaux d'enquête de la commission instituée en vue de constater les actes commis par l'ennemi en violation du droit des gens" (instituée par un décret du ministère de la Justice le 23 septembre 1914) et qui relateront tous ces faits de barbarie de 1914 à 1918.
J. Ernest-Charles dira : "M. Emile Moselly a voulu écrire le roman de la férocité allemande ; mais ce roman, c'est, à très peu de choses près, de l'histoire." (4). Bien au-delà d’un recueil, cet ouvrage est une condamnation irrémédiable de l’esprit germanique et des désastres qu’il provoque.

Plus doux, moins combatif mais non moins définitif, Contes de guerre pour Jean-Pierre prend la forme d’un testament adressé à son dernier fils, Jean-Pierre, né en 1913 (onze ans après sa sœur Germaine et quatorze ans après son frère François). Dans ces contes, E. Moselly endosse son rôle de professeur, et adresse aux enfants et aux adolescents, à travers son petit garçon, une leçon pour ne pas oublier l’horreur de cette guerre (5). Si, comme il l'écrit, Le Journal de Gottfried Mauser est "un livre de haine et de colère", les Contes de Guerre s'attachent "à composer quelques récits qui lui [Jean-Pierre] permettront de saisir dans cette atroce guerre des images appelées à durer dans son esprit." Il en appelle à la mémoire. Du "nous ne pardonnerons jamais", il passe au "nous n'oublierons jamais" et, tout en reprenant la parole de l'Antigone de Sophocle "Je suis née pour l'amour et non pour la haine", il souligne pourtant et encore que "pardonner à l'envahisseur, c'est trahir nos morts". Mais, ajoute-t-il, "il me semble que leurs mânes [celles des morts] sont apaisées, qu'ils ressentent une consolation légère, dans la terre sanglante où ils reposent, chaque fois qu'une voix d'enfant prononce le serment solennel de n'oublier jamais." La question du pardon est fondamentale pour E. Moselly. Il la résout par un nécessaire devoir de mémoire.

Ces deux ouvrages ont été bien accueillis par la critique de l’époque. Aux yeux des commentateurs, ils traduisaient fidèlement l’horreur que la sauvagerie des envahisseurs avait suscitée (6). Rares sont ceux qui ont souligné le contraste entre le Moselly tendre et poétique de ses productions antérieures et le Moselly féroce et ironique du Journal. Beaucoup de journaux, après une très courte introduction, reprennent des passages de l'ouvrage, le plus souvent sur les saccages auxquels se livrent les "boches" (L'Ouest-Eclair du 2 janvier 1916, Paris-Midi du 23 juin 1916, l'Action du 24 juin 1916, Le Petit Comtois du 6 septembre1916). Ce sera dans l'Excelsior (déjà cité) que J. Ernest-Charles soulignera le mieux les paradoxes auxquels E. Moselly est confronté : "M. Emile Moselly était désigné pour l'écrire [Le Journal de Gottfried Mauser]. Non parce qu'il est un romancier de la terre lorraine et que la terre lorraine a souffert plus que toutes les autres peut-être de la brutalité des Allemands. Mais parce que l'auteur de Jean des Brebis ou Le Livre de la Misère, qui demeure son ouvrage le plus vrai et le plus pathétique, a toujours eu une pitié infinie pour la souffrance des hommes. Il souffre, il pleure avec les malheureux. Il ne se révolte point, et le sentiment de commisération douloureuse qu'il éprouve, se fond en un attendrissement fraternel. Maintenant, surgissent la haine et la colère. C'est que les méchants ont voulu être méchants, c'est qu'ils se sont appliqués à nuire avec autant d'obstination que de méthode. Il écrit donc par esprit de vengeance - mieux : par esprit de justice - le livre des atrocités allemandes. Son roman est un témoignage. Le plus âpre mais le plus véridique."

Comme un testament encore, E. Moselly, dans la dernière nouvelle des Contes de Guerre, convie son fils à un pèlerinage à travers la Lorraine et l'Alsace bientôt libérées de l'envahisseur. A cette occasion, il retrouve le lyrisme impressionniste de ses écrits lorrains, clôturant, par une marche qui va du cimetière de son village où repose son père aux contreforts vosgiens de l'Alsace, en passant par Metz - "nulle ville n'a davantage [qu'elle] le caractère lorrain" - et Phalsbourg - cette "autre petite ville, pareille à notre Toul, comme elle entourée d'une ceinture de murailles à la Vauban, comme elle repliée et silencieuse" -, le cycle de ses écrits de guerre par une vision apaisée de sa terre natale.

Après le décès subit d’E. Moselly en octobre 1918, Madame Th. Harlor, Secrétaire générale de la Ligue "Droit et Liberté" écrit dans son rapport annuel du 9 mars 1919 au Musée social : "Emile Moselly assistait régulièrement aux réunions de notre Comité. L’auteur du Rouet d’Ivoire (et de tant d’autres livres savoureux et délicats), lorrain tendrement épris de sa Lorraine, vivait, depuis 1914, dans toute l’exaltation d’une sensibilité particulièrement frémissante. Non qu’il étalât un patriotisme voyant. Mais les vicissitudes par lesquelles nous passions retentissaient en lui avec force."

Ainsi, son extrême sensibilité, jusque là au service d’une prose foisonnante de nuances délicates et de tableaux impressionnistes s’est muée, dans le contexte de cette guerre, en caisse de résonance assourdissante de la barbarie des hommes.

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1 Alfred Saffrey dans l'Amitié Charles Péguy du 15 mars 1966
2 Pour un bibliographie complète, Cf. Nouvelles, portraits et croquis Vol.1, p. 297 (TheBookEdition, 2023)
3 Toutes ces nouvelles ont été publiées dans Nouvelles, portraits et croquis Vol. 2, (TheBookEdition, 2023)
4 Excelsior - Journal Illustré Quotidien du 8 juillet 1916
5 Comme il le fera dans le texte Prière pour nos morts publié dans la Revue France du 25 mai 1918 - Cf Nouvelles, portraits et croquis Vol. 2, p.291 (TheBookEdition, 2023)
6 Charles Daudier en décembre 1918 évoque pour Le Pays Lorrain (N°9, août-septembre 1919) la carrière littéraire d'Emile Moselly. Au chapitre consacré au Journal de Gottfried Mauser, il écrit : "Le grand drame qui, durant quatre longues années, se déroula sur la scène européenne et au dénouement duquel il n'eut pas la joie d'assister, lui suggéra ce curieux Gottfried Mauser, l'une des plus fines et des plus mordantes satires de la mentalité allemande, que le Temps publia dans ses colonnes en 1915 et qui parut l'année suivante à la librairie Ollendorff. Jamais ouvrage ne lui attira courrier aussi volumineux. Des correspondances lui vinrent, me dit-il, de tous les points du globe : lettres d'insultes de germanophiles irréductibles, mais aussi, et combien plus nombreuses, lettres d'approbation, ardentes et enthousiastes, d'étrangers favorables à notre cause ou simplement impartiaux."
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Disponible chez TheBookEdition

Rédigé le 05/09/2023 dans Moselly | Lien permanent | Commentaires (0)

LA NUIT DANS LES IMAGES

12 - La vie regorge de fausses portes, de seuils inaboutis et de dénis. Seul le jardin porte le deuil de la main qui lui fait subitement défaut et de l’œil aveugle.

18 - Passionnément éphémère.

20 - Dans le bout de ciel qui sert de repère, nous avons placé les démiurges bleus et noirs qui sèment et récoltent pour nous sans rien demander en échange et nous cherchons, pas toujours en vain, l’entrée des pièges et les chausses-trappes des feux brûlants du monde. Comme si l’errance nous allait, comme si nous n’étions pas des êtres doués d’imagination ou d’espoir. C’est sans surprise que nous allons ainsi de digue en rive, de rive en berge, de berge en place jusqu’aux prochaines îles qui sont les souffles essentiels de notre respiration qui nous laisse vivants, toujours vivants sur les seuils de nos histoires.

22 - Où les images s’effondrent, il reste l’œil qui voit au-delà de ce qu’elles signifiaient, l’œil qui balaie nous rapproche de ce qu’elles auraient pu révéler, qu’elles révèleront quand notre œil exercé saura se passer de leur matérialité. L’œil est la vision.

40 - Je suis dans un assemblage de silences et de souffles. Debout et recroquevillé sur les arpents d’un jardin en espalier. Il faut d’abord hésiter à toucher, puis siffler, danser peut-être. Réhabiliter le geste enfantin du semblant. Et s’approcher. S’interposer entre la réalité et la fiction. Devenir un point d’appui, la corde tremblée d’une respiration.

42 - Les rêves ont parfois des intentions hésitantes, des directions inavouables. Alors on les oublie ou on rétablit les divergences, on s’installe dans des dissonances de couleurs et de tons qui sont les rêves mêmes. Alors on va au détriment de nos plaisirs, même les plus anodins. On quémande, bien sûr, à tort.

47 - En aval, la réserve de réel, en amont, les errements de la fiction, de bas en haut, les frontières étagées des songes, les grappes de ce qui reste des rêves en vrac. De la pure mécanique, en musique. Des fugues et des fugues comme échappatoires, déambulations et départage des sons, ce que le rythme retient et oublie et défait pour recommencer. Toute partition est un jeu d’écriture, réitéré et reconnu, en partie reproduit puis parfois en continu dans le déroulé d’un ciel qui s’ouvre qui était fermé.

63 - Ce que l’on a oublié n’est pas fini.

(Extrait de Monument Valley, Saison 5, 2017 - Hors commerce)

Rédigé le 06/08/2023 dans Aparté, L'atelier | Lien permanent

EMILE MOSELLY - LA HOULE


Avec La Houle, récit paru en feuilleton de 14 épisodes dans L'Humanité du 27 juin au 11 juillet 1913, puis réédité à titre posthume en 1931 aux éditions Bourrelier-Chimènes, Emile Moselly quitte la Lorraine pour la Côte d'Opale dans le Pays boulonnais, région qu'il connaît bien pour y avoir passé souvent des vacances.

A ce jour, nous connaissons mal les conditions d'écriture de ce récit. Nous avons seulement quelques repères. Un fait est certain : Moselly et sa femme affectionnent les bords de mer, le Pays boulonnais donc (où se situe l'histoire de La Houle), mais aussi la Normandie et la Bretagne. Ce sera d'ailleurs au retour de vacances passées à Lesconil (Finistère Sud) qu'Émile Moselly, victime d'un arrêt cardiaque entre Quimper et Lorient, décèdera dans le train, accompagné de sa femme et de deux de ses enfants. Il a alors 48 ans et nous sommes le 2 octobre 1918.

Déjà en 1902, il rapporte ses premières impressions sur les paysages marins 1 ; description du Pays boulonnais en juillet 1903 où il évoque déjà les forces invisibles du vent et de la houle 2 ; évocation de "choses angoissantes" comme le son de la bouée au Portel. 3

En octobre 1910, Emile Moselly emménage à Rouen où il a été nommé professeur. Le 26 octobre, il relate dans son cahier une promenade sur le port et perçoit "les âpres odeurs de mer qui fouettent [son] imagination et lui donne une sorte d'élan..." Il termine cette promenade et écrit : "Puis d'autres idées me sont venues en foule et j'ai rêvé d'écrire un recueil de nouvelles où palpiterait le vent du large, où passeraient des bruits de machine et des claquements de voilure, un livre que j'appellerais La Houle." 4

Plus tard il évoquera ses promenades dans le Pays de Cau, occasion pour Moselly de relier tous ces paysages qui l'enchantent à ce qu'il en connaît à travers les livres qu'il a lus. Et lors de ces promenades "une indicible sensation d'orgueil gonflait [ses] poumons et élargissait [sa] poitrine." Il ajoute : "j'avais l'illusion que toute cette nature sortant du sommeil m'appartenait, que toute cette terre, toute cette côte battue par les flots était à moi." 5

Indéniablement, Moselly est attiré par la mer, d'autant plus qu'à partir de septembre 1914 il n'aura plus l'occasion de retourner en Lorraine. Il passera ses étés dans le Calvados et en Bretagne.

Avec La Houle, on découvre un Moselly dans un univers inaccoutumé pour lui et pour ses lecteurs. Le lorrain, chantre inépuisable de la terre de ses ancêtres, nous amène au bord de la mer sur la Côte d’Opale dans le Boulonnais.

Dans un monde âpre et rude pour les travailleurs de la mer, l’intrigue linéaire de ce récit rappelle celle de Terres Lorraines. Elle décrit l'histoire d'une veuve de pêcheur qui, en vain, veut éloigner son fils de la mer et l’idylle entre ce jeune homme et une jeune fille qui laisse entrevoir un avenir serein nourri de bonheur conjugal dans une existence paisible à l’abri des dangers mortels de cette mer nourricière mais fatale.

Est mis en scène le terrible dilemme entre la mère et la mer. La mère qui retient et qui enferme pour protéger, et la mer, magnifique et redoutable, qui appelle et qui attire irrésistiblement. Ce fil conducteur est pour Moselly une nouvelle occasion de livrer sa sensibilité à l’égard des petites gens d’humble condition et sa vision pessimiste sur la capacité de l'homme à échapper à son propre destin.

Lorsque Moselly évoque Maupassant et son pays natal, il écrit 6 : «Toujours, il conserve, attaché à son cœur par de vivantes racines, l’amour de son pays normand. En vain écrivit-il Bel ami et Fort comme la mort, qui sont des romans parisiens. Certes son art y est toujours impeccable, mais on ne sent pas derrière les descriptions ce frémissement de l’âme, cette tendresse qui s’empare de lui quand il parle des collines vêtues d’ajoncs, des falaises bordées par l’éternelle et grondante écume, des barques virées sur les galets et qui ont l’air de gros poissons morts. »

Cette observation éminemment pertinente, Moselly aurait pu se l’appliquer à lui-même au sujet de La Houle. L’écriture est irréprochable, la qualité de l’observation et du rendu magnifiques, mais on n’y sent pas le vécu qui confère à ses portraits accomplis de la terre lorraine sa vibration profonde et émouvante.

Cependant, ce récit donne à nouveau la possibilité d’admirer le style littéraire de Moselly dont les descriptions sont autant de tableaux de facture impressionniste qui laissent le lecteur émerveillé devant des images aussi lumineuses.
-------------------
1 Golf du Morbihan, Les Cahiers p. 93-97, TheBookEdition, seconde édition, 2022
2 Ibid, p.110-113
3 Ibid, p. 132
4 Ibid, p. 132, p. 145-146
5 Ibid, p. 132, p. 213-219
6 Ibid, p. 119
------------------- Pub-la-houleChez TheBookEdition

Rédigé le 04/07/2023 dans Moselly | Lien permanent | Commentaires (0)

EMILE MOSELLY - TERRES LORRAINES


Terres lorraines est le premier roman d'Emile Moselly, commencé vraisemblablement en 1902 à Orléans où il est professeur, puis poursuivi en Lorraine, à Chaudeney-sur-Moselle, durant un congé qu'il obtient en octobre 1902 (congé qui durera deux ans). Avec Jean-des-Brebis (1904) et les nombreuses nouvelles parues principalement dans la revue Le Pays Lorrain en 1905 et 1906 (Le miracle de la Saint Vincent, Le retour - nouvelle intitulée Le Soldat dans Les Retours - , La Vie lorraine, son Fî, Nuits lorraines...), la vocation régionaliste de Moselly s'affirme. Ou plutôt l'attrait pour une peinture littéraire de sa région natale, même s’il est né à Paris, devient prépondérant dans son œuvre.

Pierre Goudot note que c'est en mars 1902, alors de retour à Chaudeney pour les vacances, que Moselly trouve "une vallée maussade, austère, boueuse, noyée sous la pluie. Immédiatement des images d'un passé dur remontent à la mémoire et, pendant une quinzaine de jours, il fera une chasse systématique aux souvenirs : le vrai visage de la Lorraine, qui s'était quelque peu estompé, lui réapparait enfin : le cadre et le climat rude expliquent l'homme ; sa sympathie en est accrue, il retrouve lui-même ses racines profondes et les apprécie. Sa décision est prise : il sera le chantre de la Lorraine et de sa population noble, mais pitoyable." (Pierre Goudot, La vocation régionaliste d'Emile Moselly, DES, 1964)

Dans ses Cahiers, Moselly note à la date de mars 1902 : "Les champs remués, la terre. Il me semble qu’elle est faite de la poussière des morts de ma race, le sol antique et nacré dont la motte friable de bonne terre brune apparait parfois dans les chemins caillouteux, rouge de minerais de fer, ce sol s’attache à mes pieds, je le foule avec une joie profonde comme si des parts de mon être participaient à une sensation ignorée et douce. En haut de la côte, à l’endroit où le chemin raviné se hausse d’un effort sur le plateau, sur les terres nues jusqu’à l’horizon rayé de pluie, sur les jeunes blés en herbe, nous rencontrons un paysan. Un cousin, il est très vieux, très cassé, je lui parle longuement ; il porte mon nom et je retrouve dans sa face tannée, dans ses yeux, des traits vagues, la ressemblance de la famille, c’est le nez droit, et surtout la voix, notre voix à tous, chantante, douce, dans ces voix dures de lorrains, c’est là surtout que réside mystérieuse... la parenté de la famille, celle qui est la plus émouvante. En le quittant, je rêve longuement à cette dispersion d’une famille, au mélange des sangs. Combien y en a-t-il autour de ces clochers pointus qui sont sortis de la même souche ? Que sont devenus ceux qu’on a oubliés, qui sont partis, qu’on rencontre peut-être dans la foule des grandes villes, qui ont eu les mêmes ancêtres que vous, et qu’on coudoie sans que rien vous avertisse. La race, la famille, une grande idée qui s’en va, qui se dissipe sous le souffle de la vie moderne. Ils ont de l’affection, mais elle est dure, brutale, elle s’exprime par des mots, des termes qui heurtent, qui froissent, qui révèlent maladroitement leurs tendresses. Lorrains, ils se dénigrent, par jalousie, un grand fond d’orgueil et d’âpreté satirique."

Il médite ses livres - de nombreux extraits dans ses cahiers de 1902 à 1906 en témoignent. Il se prépare alors une période d'intense publication : avril 1904 Jean-des-Brebis, juillet 1906 Les Retours, mars 1907 Terres Lorraines. Et c'est pour ce denier ouvrage - mais aussi pour Jean des Brebis et Le Rouet d'Ivoire - qu'il se verra décerner le prix Goncourt en 1907. Consécration d'un travail littéraire opiniâtre attaché à rendre compte de toute la nature lorraine - paysages, hommes, femmes et choses - dans laquelle il s'enracine chaque jour davantage. L'accueil de la critique est partagé, comme à chaque fois.

A partir de Terres Lorraines, Moselly sera loué par ceux qui lui reconnaissent un talent impressionniste pour raconter sa terre natale, la Lorraine, du moins la Lorraine de la Moselle et des Côtes de Toul et qui apprécient son savoir écrire de novelliste et de portraitiste. A l’opposé, il sera fortement critiqué par ceux qui ne lui reconnaissent ni originalité, ni talent de conteur, tout au plus un savoir-faire technique d'enseignant qui a beaucoup lu et qui s’inspire, peut-être à son insu, de maîtres qui l’ont précédé.

Ainsi Marcel Ballot, dans le Figaro du 16 décembre 1907, commentant l'attribution du Goncourt à Moselly, écrit : "Terres Lorraines est en effet une longue, très longue idylle où l’on nous conte comment Pierre Noel, le beau pêcheur de la Moselle, abandonna par deux fois sa promise. À la seconde et définitive infidélité cette tendre Marthe Thiriet, fille du garde forestier, ira se jeter dans la rivière, tandis que son volage ami, curieux d’aventure, engourdi de bien-être, ivre d’amour charnel, s’éloignera sans remords ni vergogne sur le confortable bateau, sur le chaland peint et fleuri d’une moins candide fiancée. Un mariage équivoque l’aura, comme tant d’autres, détaché de la terre natale et, si parfois il reparait poussant à travers la brume sa lourde maison flottante, nul ne croit voir un enfant du pays en ce marinier vagabond, anonyme et mystérieux. Assurément, c’est une donnée qui en vaut une autre, mais je ne sais pourquoi, elle me remet en mémoire la réponse de ce grand poète que consultait un débutant : "voici, disait l’auteur novice, quelle est l’idée de mon roman : un jeune homme aime une jeune fille…" et le poète d’interrompre : "bravo, mon enfant, vous avez mis la main sur le plus beau des sujets, seulement il y faut du génie !" M. Émile Moselly me paraît avoir choisi un sujet de même nature et peut-être a-t-il eu le tort de n’y mettre que du talent. J'entends bien que ce sujet (un jeune homme aime une jeune fille...) fut, avant tout, prétexte à paysages, à peintures de mœurs et de coutumes locales, à savoureuses expressions du terroir. Malheureusement l'indéniable pittoresque de Terres Lorraines n'est ni très senti, ni très original. On y rencontre plus de virtuosité que d'émotion, plus de réminiscence que de tempérament. Les pages les mieux venues gardent un caractère de notes coordonnées et de morceaux documentaires. Ce que l'écrivain nous montre est moins tel ou tel veilloir, tel ou tel bal, telle ou telle noce, tel ou tel enterrement que le veilloir, le bal, la noce ou l'enterrement en pays lorrain. Nous feuilletons l'album d'un dessinateur fidèle, non l'œuvre d'un artiste attendri ; et cette terre que nous évoque M. Moselly ne doit pas, j'imagine, être celle où il est né. A ces évocations manque le frémissement secret, la sympathie intime et profonde avec lesquelles certains romanciers surent ou savent nous parler de leur « petite patrie". "Il y a des gens qui se disent espagnols, affirmait le refrain d’Offenbach, et qui pourtant ne sont point espagnols ! " Il y a aussi, de notre temps, beaucoup de gens qui se croient lorrains et qui pourtant ne le sont pas. M. Moselly m'excusera donc de supposer jusqu'à plus ample informé que la Lorraine eut en lui, non pas même un fils d'adoption, mais un aimable visiteur, un hôte attentif et dont elle occupa heureusement les loisirs. Voilà pour ce qui est de la documentation ; quant à l’exécution, elle est certainement celle d’un lettré - un lettré en commerce étroit avec tous les maîtres du roman contemporain. De là, diverses influences que M. Émile Moselly subit peut-être à son insu ; de là, des phrases qui, comme celle-ci, semble avoir passé par le "gueuloir" de Flaubert : "la lune jaillit des entrailles de la terre, énorme et toute blanche, versant une lueur sur les pousses des jeunes ceps, trempés de rosée". […]
Enfin, le livre n’est guère composé ; les épisodes descriptifs - fêtes, cérémonies, bombances - se diluent, se noient en prolixes détails, perdent sous ce flot verbeux partie de leur couleur et de leur intensité ; les chapitres se suivent, se coupent, se chevauchent au petit bonheur ; l’action tantôt piétine sur place, tantôt répète les mêmes gestes, repasse par les mêmes errements. […] On a l’impression d’un monotone recommencement. Et si quelqu’un, exhumant le vieil argument naturaliste à l’usage des livres mal faits, nous objecte que la vie elle-même ne procède pas autrement et ne « compose » pas davantage, nous rappellerons une fois de plus que le roman ne doit pas nous donner l’image, mais l’interprétation de la vie car là est sa seule raison d’être. Or, point d’interprétation sans art, et point d’art sans composition. […] Mais que de redites, que d’amplifications, que de surcharges et de fignolements où suffiraient deux à trois touches. Je ne sais plus qui a dit que Terres Lorraines était un bon livre de professeur ; c’est aussi un livre de bon élève."

A l’opposé, Louis Madelin dans La République Française du 10 septembre 1907 reconnaît à l’auteur un talent loin "du nouveau style" et souligne que "Moselly est un poète". "Il est comme tous ceux qui se penchent vers le sol de nos provinces. Ce spectacle est plein de grâce quand il n’inspire point une mélancolie douce qui est une source bien abondante de forte poésie. [...] Émile Moselly se distingue dès aujourd’hui parmi ces romanciers du nouveau style : Terres Lorraines n’est point son premier livre et tout fait croire et espérer que ce ne sera pas le dernier mais ce sera sans doute celui qu’il aimera le mieux. Il y a jeté tout son cœur avec tout son esprit. Observateur des mœurs lorrains ce n’est point un froid analyste. Sa sensibilité s’est émue devant cette autre terre qui meurt. On sent qu’il l’aime ainsi qu’un bon fils et qu’à travers les concours où il lui fallait disserter de Virgile et de Pindare, il a dû s’attarder plus longuement qu’à aucun autre à cet Ausone qui chanta la Moselle, "fertile en blés, fertile en hommes." […]
Amours mélancoliques que ceux qui nous sont décrits, amours traversés, amours malheureux : c’est une modeste tragédie campagnarde que celle dont la petite Marthe et le grand Pierre sont les héros. Mais tragédie poignante dans sa modestie : sous l’humble fichu que la gracieuse fille du forestier croise sur sa poitrine, bat le cœur d’une amante, car elle aussi, la fille du brave garde, est poète. Elle file son petit roman sur une quenouille que dorent ses illusions, elle en palpite, elle en jouit, elle en souffre, elle en meurt. L’autre, le pêcheur de la Moselle, dont le séjour au régiment et trop de succès parmi les belles ont fait un Don Juan de village, l’autre héros ne nous séduit que par la triste réalité du personnage : beau garçon vulgaire et têtu, qui le même jour abandonne la vierge qui lui a donné son cœur et le métier de ses pères. En quoi, dans cette aventure, est-il le plus coupable ? Est-ce que lorsqu’il renie la tendre fille ou lorsqu’il repousse d’un pied brutal dans les eaux de la Moselle la vieille barque pour s’en aller suivre vers l’inconnu qui attire, sur le chaland du canal, la brune Thérèse aux yeux fascinants ? Le romancier ne nous le dit pas, mais au fond je crois bien qu’il pense que le crime est d’abandonner la vieille mère Lorraine, la Moselle nourricière, le plateau à l’âpre affection qui, des siècles, a donné des fruits aux ancêtres de l’ingrat pêcheur. […]
C’est qu’en en effet le vrai héros du roman ce n’est point Pierre, le déraciné de demain, ce n’est point le vieux père, le pêcheur Dominique, ce n’est point le rude Forestier Thiriet, ni la petite Marthe, ni les commères du village : c’est la terre lorraine. Tous l’aiment sans cette exaltation qui est le propre des âmes du midi, fruits que le soleil a dorés ; mais comme l’auteur nous fait partager l’amour de Dominique pour les eaux argentées de la Moselle où il jette ses filets, de Thiriet pour sa forêt profonde, de Marthe pour son village, de tous pour leurs vieilles maisons et leurs vieilles coutumes. Voici les saisons lorraines : car le roman qui dure un an, permet de connaître le ciel embrumé de l'âpre hiver lorrain comme ce délicat ciel bleu gris, que l'été étend au-dessus de nos têtes. Mais surtout l'automne m'enchante. « Un grand silence enveloppait les campagnes, le silence d’automne, avant-coureur du sommeil hivernal. Les bois lointains, les vignes, l’horizon des côtes reposaient dans un calme infini, une sérénité baignée de lumière. Et les fils de la Vierge, se détachant des buissons, se déroulaient dans leur chute molle et sinueuse. Les dernières feuilles tombaient des arbres, emportées par des souffles froids. Au fond d’un verger, quelques cerisiers, touchés par les gelées précoces, semblaient revêtus d’un rouge éclatant, pourpre somptueuse qui détonnait dans la nudité des campagnes. Une rumeur de vie courut de l’horizon, dans une flambée de soleil. Le vent léger charriait des sons de cloches, des claironnements de coqs, des appels de bateliers. Ce mystérieux appel réveillait la terre lorraine, suscitait la force fécondante endormie au creux des sillons, donnait l’illusion d’une splendeur fugitive de printemps.
Dans ce décor sans cesse renouvelé, le grand personnage c’est le village dans sa vie journalière est ses fêtes ; l’héroïne, c’est la Moselle. Elle coule scintillante entre les joncs et les bouleaux, lien qui unit les cantons de Lorraine, des Vosges à Metz, nourricière de la province, vieille mère qui dans l’antique plateau garde un éternel éclat. Lorsque abandonnée, la petite Marthe s’en vient glisser doucement dans les flots pâles, ce drame paraît se terminer de bien vulgaire façon pour qui n’a pas lu le livre. Mais non, la petite Lorraine semble rentrer dans le sein d’une mère. Le fleuve ici n’est point le monstre avide qui à Paris dévore les désespérés à bout d’illusions. On l’aime tant, cette Moselle, qu’elle semble au contraire la consolatrice amie qui, après avoir sous la barque du pêcheur bercé les illusions de la vierge lorraine, ouvre ses bras tout grand à sa navrance. De pareils sentiments, de semblables senteurs nous bercent doucement. Nous sommes loin des garçonnières et des boudoirs. Et il nous semble respirer un air pur et doux au sortir d’une salle surchauffée."

Ainsi se partage la critique au moment où Moselly accède à une relative notoriété. Pour autant Terres Lorraines témoigne de la grande sensibilité d’E. Moselly, du travail qu’il accomplit pour faire vivre les compositions quasiment picturales de la nature lorraine, qu’elle soit humaine ou issue d’une terre qu’il a arpentée longuement, dans laquelle il se reconnaît, et dont il tire les couleurs, les saveurs, les senteurs et toutes les sonorités qu’il sait mettre en harmonie pour nous conduire, avec émotion et tendresse, dans cette Lorraine toute idéalisée de ses écrits.

Moselly écrit au printemps 1902, fixant ainsi la ligne directrice de son œuvre future : "Adoration de la vie, mais pour la ressentir pleinement se retirer dans l’ombre, à l’écart, la voir passer comme une eau qui coule, les rivières, les paysages, l’action, la politique, l’art, les salons, la musique, - le beau, la volupté, la joie extraite du passé, la respirer et puis sentir plus profondément l’horreur qu’elle referme, la mort, la maladie, le mal, sous toutes ses formes."

 

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Rédigé le 29/06/2023 dans Moselly | Lien permanent | Commentaires (0)

EMILE MOSELLY - JEAN DES BREBIS


Entre 1904 et 1907, Jean des Brebis sera édité trois fois. Dans les Cahiers de la Quinzaine en 1904 puis, la même année, aux édition Ollendorf et, en novembre 1907, aux éditions Plon. Plus tard, d'autres éditions suivront essentiellement chez Plon.

Après le récit L'Aube fraternelle (dans les Cahiers de la Quinzaine en 1902), Jean des Brebis sera le premier ouvrage de nouvelles d'Emile Moselly, regroupant Jean des Brebis, A la Belle étoile, Le Revenant, La Mort du bouif, Le Trompion, Cri-Cri.

Le Prix Goncourt lui sera remis en décembre 1907 pour ce livre mais aussi pour Terres lorraines et Le Rouet d'ivoire, ouvrages parus cette année-là. La carte signée des dix jurés dit très exactement : [...] le Prix des Goncourt vous a été donné pour vos livres et en particulier Jean des Brebis [...]. L'attribution en 1907 du Goncourt à Moselly marque la préférence du jury pour un recueil de nouvelles paru quatre ans auparavant, contrairement aux règles du prix qui veut que le livre couronné soit un roman paru dans l’année de son attribution.
Ce fait est bien évidemment relevé par la presse : "Le prix Goncourt 1907 - C'est M. Moselly qui a remporté la palme mais on ignore pour laquelle de ses œuvres.
L'Académie Goncourt est obligée d'attribuer son prix à l'œuvre éditée dans l'année et non point à un auteur, or, le Temps et le Matin nous ont dit que l'ouvrage couronné était Jean des Brebis, œuvre publiée il y a quatre ans et par conséquent ne rentrant pas dans les conditions du concours.
Il est vrai que d'autres journaux nous ont appris que le prix avait été donné à Terres Lorraines, ou encore au Rouet d'ivoire, deux œuvres de M. Moselly publiées cette année.
La réalité c'est que ces deux dernières œuvres plaisaient moins aux Dix que Jean des Brebis et qu'en résumé c'est ce livre auquel ils ont donné le prix, mais ils n'osent le dire franchement puisque, nous le répétons, ce livre ne pouvait réglementairement concourir. Tant d'imprécision a eu pour résultat de dérouter le public qui voudrait bien acheter un ouvrage mais non des ouvrages ; et M. Moselly est loin de trouver la clientèle des précédents lauréats. MM." (Revue Ruy Blas du 14 décembre 1907).

Cela n'empêcha pas Jean des Brebis de connaître une critique accueillante et largement positive. En voici quelques extraits.

Cinq mille francs(L’Intransigeant du 7 décembre 1907)


Dans la revue Gil Blas du 12 décembre 1907, Jules Case écrit : «Le roman provincial arrive donc à l’heure du rafraîchissement nécessaire. Un peu d’air, demandait-on. Il y a de quoi nous en apporter, et nous acceptons avec gratitude tout ce que nous en donne M. Emile Moselly. C’est du plus naturel, d’ailleurs, qu’il nous fournit, venant de la pleine campagne, du village lorrain, connu pour la vivacité de son climat, pour ses coteaux plantés de vignes, son vin gris, ses verts pâturages et aussi pour ses fumiers amoncelés en tas devant chaque maison, et formant, d’un bout de la localité à l’autre, comme un double système de remparts.» Et déjà Jules Case souligne la marque impressionniste de l’auteur : «M. Emile Moselly est un paysagiste minutieux, exact amoureux du tableau qu’il nous transcrit. Dans le dessin de ce petit village transfiguré et endimanché, il exprime toutes les âmes joyeuses de ses habitants. Contenant et contenus se confondent. Les personnages n’on même pas besoin de beaucoup de paroles, ni d’actes, pour manifester leur satisfaction. Le décor général les englobe et les fait participer à l’allégresse dont ils témoigne. On sent le paysan, sa maison, la terre, faire un bloc invisible. Des racines et des liens les attachent solidement les uns aux autres.»

Gaspard Valette, dans la Gazette de Lausanne et journal suisse du 21 janvier 1908, revient sur «les peintures» de Moselly : «Aussi bien, c’est la Lorraine seule, c’est la Lorraine toute entière, que Moselly a peinte dans son œuvre littéraire : les choses et les hommes, les mœurs et la nature, les lignes du paysage et le traits de l’âme qui leur correspondent. Le paysage surtout ! Je connais peu de paysages littéraires plus consciencieux, plus étudiés, plus émouvants que ceux- là. Pour retrouver une impression analogue, il faut songer aux ciels tragiques, aux vastes horizons, aux eaux dormantes qu’ensanglante le reflet des nuages dans les admirables et frustres paysages lorrains d’une Pauline de Beaumont [artiste peintre suisse (1846-1904)] Le paysage n’est pas pour notre écrivain un décor impassible et muet. Les choses ont une voix qui lui parle et qu’il entend, une vie avec laquelle il communie, une plainte que son cœur accueille. Et plus ces choses sont humbles, plus ces recoins sont déshérités, mieux il croit percevoir cette voix et discerner l’âme du pays qui s’y révèle.» Ainsi, loin des commentaires parfois acerbes sur un régionalisme "poudre aux yeux", G. Vallette conclut en soulignant que Moselly est «descriptif avant tout, réaliste en son tréfonds, pénétré d'une pitié humaine intense, qui n'a rien de pleurnicheur ou de déclamatoire, le talent du romancier lorrain, avec sa forte saveur de terroir et son régionalisme avoué, me parait non pas un des plus prestigieux, ni des plus éclatants, mais un des plus probes et des plus solides qui soient à l'heure actuelle.»

Dans Le Pays Lorrain de décembre 1907, René Perrout, écrivain régionaliste vosgien, soulignera, à l’occasion du Goncourt, cet amour des paysages lorrains que Moselly se plait à décrire et à rendre vivant dans son œuvre : «Moselly a la piété de la terre natale. Il en sait tous les secrets, il en aime toutes les images et tous les chants. Il offre à l'émotion lorraine une âme frémissante. Il décrit avec splendeur ce qu'il voit dans son pays, les plaines onduleuses, les ravins où foisonnent les plantes odorantes, les routes que jalonnent les peupliers fuselés comme des files monotones de pèlerins, les coteaux empourprés des teintes automnales, la rivière où le soleil traîne des draperies d'or, les prés criblés de fleurs, les champs où une brise creuse des houles vivantes.
Et la mélancolie qui plane sur la nature lorraine descend aussi dans son cœur et obscurcit parfois son rêve. Il s'attriste des longues étendues aux vallonnements doux qui semblent une mer tourmentée, soudainement figée, des lointains brumeux, des grands souffles qui gémissent dans les bois profonds, des lisières de trembles dont les feuilles grelottent dans la pluie, des molles vapeurs qui flottent comme des fantômes le soir au creux du val, de la fuite des nuées dans le ciel agité. Parmi ces visions, une langueur le prend. Et son chant lyrique s'élève un peu morne, craintif et adouci.»

Avec Jean des Brebis, Emile Moselly écrira parmi ses meilleures nouvelles, toutes nourries de sa terre natale, toutes empreintes d’une Lorraine sublimée à la manière des impressionnistes.

 Pub-jean-brebis(Disponible chez TheBookEdition)

Rédigé le 22/06/2023 dans Moselly | Lien permanent | Commentaires (0)

RÉEL, RÉALITÉ


Le réel n'a aucun intérêt ou n’existe pas. Seule importe la réalité. Et à la lumière des vraisemblances, le monde prend forme, s’irise de feux naissants, s’arc-boute à ses cimaises, en équilibre permanent. On entre dans les étraves silencieuses et sombres du monde pour se sauver de lui. Se sauver, grandir, résorber ce qui reste en nous d’effervescence noire inutile, devenir ce bonheur d’une vision large, aiguisée et paradoxale car on devine les points d’attache d’un vide qui nous happe. On ne connait pas ce vide, on le devine. La chair est illuminée des incidences du cosmos en nous, de cette réalité nouvelle en nous quand on ouvre les yeux, quand on entend, quand on touche la peau de l’autre, quand les parfums montent en nous de tous les côtés de notre mémoire qui se lève.

* sur une musique de Jan A.P. Kaczmarek (Burning pictures du film Unfaithful)

Rédigé le 29/04/2023 dans Aparté, L'atelier | Lien permanent | Commentaires (0)

ÉMILE MOSELLY - LA CHARRUE D'ÉRABLE

 

A l’initiative de la société de bibliophiles Le Livre Contemporain, Emile Moselly écrit les dix nouvelles de La Charrue d’Érable qu’elle édite en 1912, illustrées de douze compositions pleine page, en camaïeu, d'après des dessins de Camille Pissarro et de vingt vignettes et dix lettrines en couleur, gravées sur bois par Lucien Pissarro, son fils, et Esther Pissarro, épouse de ce dernier. Le tirage unique de ce livre en 116 exemplaires numérotés a été réalisé par la maison d'édition Eragny Press créée en 1895 à Epping, dans l’Essex (Angleterre) par Lucien Pissarro.

Les nouvelles de ce livre n'avaient jamais été rééditées. Nous les reprenons dans cette publication chez TheBookEdition. Les illustrations proviennent de l'édition originale et sont de Lucien Pissarro. Sur les dix nouvelles de l'ouvrage, trois ont été publiées dans une revue : La Baratte dans Le Pays Lorrain en janvier 1912 ; La Vision du Père Huot dans la Bibliothèque Universelle et Revue Suisse en juillet 1912, parue sous le titre Lavandière Nocturne dans La Charrue d'Érable ; et La Moisson en février 1913, toujours dans la Bibliothèque Universelle et Revue Suisse.

Avec Moselly, nous ne sommes plus dans la stricte perspective d’illustrer les "Travaux des champs", projet pictural de Camille Pissarro. Moselly saisit l’occasion pour explorer (comme dans la plupart de ses écrits) l'âme humaine, ses aspirations et ses tourments.

Emile Moselly n'est jamais agréable ou inquiet pour rien. Avec les portraits qu'il dessine de ses observations pertinentes, nombreuses, maintes fois tournées et retournées, avec ou sans couleur, en pleine lumière ou dans l'ombre, portraits de femmes et d'hommes pour la plupart sortis du "peuple", il tente de cerner ce qui fait l'essence de cette âme humaine, ce qu'elle recèle de petitesse ou de grandeur, de plaisir et de jouissance ou, le plus souvent, de crainte et de peur et affine les visions qu’il se fait de l’humanité.

La relation à la mort, le travail et l’effort, les troubles de la folie, la solitude humaine, la bêtise, la misère, mais aussi l'envie et l'ambition, les plaisirs, petits et grands, de la vie, l’espérance d’une existence meilleure, tels sont les sujets développés par Moselly dans les nouvelles. Toute la palette des sentiments qu’il éprouve y est reprise, de la plénitude de la campagne à la rudesse de la vie rurale, en passant par les hauts et les bas d'existences souvent miséreuses, parfois lassées des vilénies du temps ou de l'époque. Moselly ne s'écarte pas de son projet : donner une parole aux humbles qu'il côtoie et parmi lesquels il a trouvé les portraits vivants qu’il immortalise avec tout son talent littéraire d’impressionniste.

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La Charrue d'érable chez TheBookEdition (clic sur le lien)
mais aussi :
Les Cahiers, 1890-1914
Nouvelles, portraits & croquis, Volume 1
Nouvelles, portraits & croquis, Volume 2

Rédigé le 06/04/2023 dans Moselly, Parution | Lien permanent | Commentaires (0)

ÉMILE MOSELLY - LES NOUVELLES - V1 ET V2


Sache que la vie est inépuisable, et qu'elle proposera à ton effort des merveilles toujours renouvelées. Penche ton regard sur la vie des humbles, la vie du tâcheron, du menuisier, la vie de l'ouvrier des champs et la vie de l'ouvrier des villes, les vies en apparence semblables comme les chaumes d'un toit ou les pavés d'une rue. Mais pénètre silencieusement dans les âmes, attends le moment où elles te révèleront leurs angoisses et leurs joies, leurs espoirs et leur tristesse. Tu seras stupéfait devant tant de variété et d'émotion.

Emile Moselly

V1 et V2

Chez TheBookEdition, Volume 1 - Volume 2

Rédigé le 21/03/2023 dans Moselly, Parution | Lien permanent | Commentaires (0)

BELLE PLACE

 

On ne sort jamais de la réalité. 

Une façon inexorable de marcher, de se glisser hors des images qui nous retiennent. La définition de la réalité est : vide transgressif et son dédale d’erreurs. On n’y échappe pas. On se tient debout avec nos incertitudes comme un témoignage des vacuités que le silence nous impose, ou le vent, ou la pluie froide, ou les branches cassées d’un arbre qu’on abat. Ce qui est notre horizon est encore un vide. Et donc qu’espérer ?

On est la réalité.

On marche sous les arcs-boutants du ciel, un ciel qui n’est jamais d’une seule pièce où s’accrochent des oiseaux et les lames de l’eau bleue qui l’innervent.Toute vie simple s’y reconnait. L’étendue cosmique est une perle qui roule dans les tempêtes. Que la vie est régulière à cette hauteur ! Elle maraude à contresens, en majesté. Nous la suivons, espérant effacer les craintes et calmer les douleurs. Et donc qu’espérer ? 

Rédigé le 20/03/2023 dans Aparté, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)

MÉTHODE

 

Qui dira la méthode ? Comment s’invente la méthode ? La méthode est proche de la partition et de ses répétitions, boucles, détours et re-bouclages.

On fixe la méthode dans le mouvement. Je ne réfléchis pas mieux que quand je me déplace.

J’échafaude en roulant .

La méthode est complexe, déroutante tant elle fait partie de l’écriture et sans écriture pas de méthode. Elle est inextricable et invérifiable.

Elle permet de démembrer et de re-construire. Elle est intrinsèquement liée à l’épreuve du jointoiement des mots. Elle est le vide qui construit.

Elle est l’échafaudage qui s’élève dans la cathédrale ou qui s’enfonce dans la fosse. Elle est faite d’étais et d’arc-boutants, d’élancements et de désertions.

Sans méthode, pas de surprise, pas d’étonnement, pas de plaisir, pas de saut, ni sursaut, ni tout ce qui fait le désir. Elle est sous-jacente.

Elle est commune aux architectes, maçons et charpentiers. On la partage parce qu’on se ressemble pour les ventaux des portes dérobées que nous ouvrons ou inventons.

Elle compose et re-compose, dit les renvois et les références, ajuste la mécanique des machineries cachées, s’égare parfois en notes de bas de page.

Elle est une écriture en soi tressant les fils des perspectives où s’ajustent les mots, où les mots ensemble finissent par dire.

Elle guide l’ordre des juxtapositions et des impositions. Elles provoquent les arrangements indécidables et posent dans l’écriture les singularités du discours.

Le voyage est la méthode qui place la vision avant les mots et non après, qui ne raconte pas les images et les ré-installe dans le fond caché du texte.

La méthode connaît les lieux, les liens, les linéaments, les origines comme les aboutissements et les choix de ce qui converse, échange et dispute. Elle n’automatise pas.

La méthode grappille dans les vides qui resteraient entre les mots les petits liens inaperçus, les renforce sans les mettre en avant, assurant solidité et demeurance.

Elle débusque les leurres de l’écriture étant un leurre dématérialisé, qui ne s’écrit pas, qui laisse écrire, qui ne dit pas, qui laisse ou ne laisse pas dire.

La méthode est toujours relative à un territoire, à une géographie pulsionnelle des mots. Elle marque les limites du texte même si elle n’est pas exhaustive dans ses recensions (lire l’avant-propos de Au(x) Demeurant(s) dans Figure Out).

Elle est l’errance des agencements et des ré-agencements et décloisonne les mots de leur proximité commune (lire l’avant-propos de Figures des sentiments).

La méthode est de se convertir à des tâches simples, non déroutantes : explorer, classer, aligner, ranger, vérifier, raturer, expurger, départager, arbitrer…

On pourrait confondre méthode et pensée. La méthode est en-deçà, souterraine en état de veille constante, elle est le substrat du nomadisme de la pensée.

La méthode n’est jamais à bout des mots contrairement à la pensée qui peut s’étioler ou se dépraver. Mais la méthode n’empêche rien.

Et si parfois il semblerait qu’il n’y ait pas de méthode, la méthode est là, dressant ses lignes d’hameçonnage.

 

In Les dissonances, Livre 1 Entre-deux, 2019 (TheBookEdition)

Rédigé le 07/03/2023 dans Aparté, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)

LES FLUX TENDUS

 

Les cordes, les nerfs et les linéaments ont en commun d’accroitre les tensions intra-musculaires. Je ressens cette irisation bloquer l’épaule, dévaler le bras et s’accumuler dans le creux du coude. Je n’articule plus les mots. J’obéis à des erreurs commises il y a très longtemps, qui n’étaient même plus un mauvais souvenir. L’organisation des douleurs fait de moi un attentif extrême et un commis dévoyé aux basses œuvres, surveiller. Je n’articule plus mes pensées, je les écarte. Je suis dans l’admonestation permanente. Je me fragmente en longues tensions évanescentes le long des os, qui plissent, plient, se re-dimensionnent et retentissent plus fortement. La douleur est généreuse. Je dors avec parcimonie, redoutant de me réveiller criblé de pointes et de points droits, d’éclaboussures de nerf. Je pense que je dors pour ne pas me réveiller. Je ne suis qu’une seule pensée assujettie aux minutes qui passent top lentement. J’attends le lever du jour, l’arrivée des bruits et des infirmières enchanteresses. Je plonge dans des amas morphiniques où je me désarticule à demi-conscient.

ON VIENT ME PENDRE

J’arpente de long en large 70 cm2 de peau cherchant la source de ce phlegmon brutal qui érupte à la base des articulations et re-plonge dans une révulsion non moins brutale. Ça monte, ça descend, ça traverse, rodant et rabotant, sciant, écartant, je suis devenu une travée béante aux travaux désordonnés et innombrables, dépourvu de ressentiment, juste des aplats distendus qui se chevauchent à l’intérieur du corps, plaques tectoniques qui fouillent les unes dans les autres, dessus dessous, s’affaissant, se relevant, dans tous les sens de mes pauvres sensations, pauvres, je veux dire exténuées, sans abri. J’ai passé l’âge du déni. Parfois tout s’éteint, je suis en suspension, j’attends ou je m’efforce de ne rien attendre ou j’évite d’être cette attente d’une douleur qui re-prendrait, je ne suis qu’une butée silencieuse, sans respiration, à la recherche du plus petit souffle vital qui ne dérangerait rien, qui serait juste suffisant au calme soudain qui règne, à la mesure de ce qui m’astreint à re-sentir le rien.

Le froid me tombe dessus et la plante des pieds est rêche et poreuse. Je ne sens plus mes doigts, gelés et détachés. L’épaule braconne dans les douleurs des broussailles. Je dis j’ai froid, donnez-moi une couverture, couvrez-moi, n’oubliez pas les pieds, la gorge, cachez-moi, ne dites à personne que je suis dans ce lit, petit pour moi, pourquoi les lits des hôpitaux sont trop petits, les pieds dépassent, tombés, épargnez-moi, je n’endosse pas la responsabilité d’avoir froid, j’ai froid, ouvrez les vannes, ne refusez pas à mon père de me prendre, de me mettre au soleil, mettez-moi au soleil, donnez-moi la lumière, froid, froid jusqu’à l’intérieur des os, au plus profond de la moelle, dans le secret des écoulements, un froid blanc, je suis blanc, tout ce blanc qui m’entaille et me dépèce, laissez moi me blottir dans les bras de mon père, j’ai des visions d’aplats qui tombent, des aplats de couleur de brume et de glace, des couleurs étrangères que j’ai du mal à prononcer, toutes qui se superposent dans le noir, une fois la lumière éteinte, n’éteignez pas le dernier rayon, laissez le filtrer, passer du mur à la table, de la table sur le sol, qui m’entraîne seconde après seconde dans sa mort.

Il n’y a pas de secret de famille, la famille n’est ni malade ni dérangée, elle n’a rien à cacher, elle attend des nouvelles des enfants qui sont partis, qui ne sont plus là. Je m’égare dans ma famille. Qui est venu me voir ? Qui a parlé ? Mais seulement la porte a-t-elle été ouverte ? J’ai vu passer une tête, puis deux, mais personne à me rappeler. Personne de possible, ni visage à caresser, ni main qui se poserait sur mon front. Mais ce sourire, cette attention qui me traverse, qui éclaire, qui dit ce n’est pas grave, c'est une poussière, qui était-ce ? Ils ne m’ont pas nommé. Je me souviens : je le tiens dans les bras, il meurt, j’appelle, je ne veux pas le lâcher, j’ai du mal à attraper la sonnette, trop loin, il meurt, il s’affale lentement sur moi, je l’appelle, je l’appelle, il meurt, il n’est déjà plus là, j’appelle, il a fermé les yeux, refuse de me voir, de me regarder, il meurt et disparait dans le fond des mes bras, devient moins lourd, moins résistant, j’appelle, il meurt, on me l’arrache brutalement, les infirmières déboulent, me repoussent, dehors, dehors, je me recule, j’ai tout à coup froid, peur, devenu inutile, il est mort, ils s’empressent autour de lui, tubes, tuyaux, respiration, coups au cœur, masque et massage, mais il est mort, il est mort dans mes bras. Je suis attaché au bout de ciel qui passe la fenêtre. Il a passé la tête. Ne refusez pas à mon père de venir. Il y a des secrets entre nous que la mort ne nous enlèvera pas.

J’ENTENDS LES DÉFLAGRATIONS DES FUSILS

On a éteint la lumière une première fois. La salle est vidée de ses meubles et de ses instruments. Les tuyaux et les câbles ont été rangés, des lits déplacés, des tables poussées contre les murs, les stores baissés, séparant la salle d’autres salles, en enfilade. J’essaie de me remémorer la place de la cour, de quelles fenêtres la voit-on ? Je fais le plan dans ma tête, maladroitement, j’hésite, et si cette fenêtre justement ne séparait rien, qu’une autre salle identique se répercutant dans le silence. Je les vois ranger, nettoyer, pousser les tables et les chaises, classer les papiers, emporter des meubles, vider le service. Je ne bouge pas car je ne comprends pas. Réalité ? Faut-il que j’appelle ?

Discrètement tout est nettoyé, blanchi jusqu’à disparaitre. Elles vont, elles viennent, l’air de rien, mais je les vois quitter les bureaux, s’activer vers la sortie, des papiers sous le bras, des paquets au bout des mains. Je tente de me redresser, n’y arrive pas. On me laisse dans la pénombre. Il y a juste un faible éclairage qui traverse la baie vitrée, une lumière douce et fragile dont je ne vois pas la source. J’ai envie d’appeler, je n’ose pas. Comment peut-on ainsi tout enlever si ce n’est que tout va être fermé et qu’on me laisse là, seul ? On éteint encore la lumière, je les vois qui m’observe mais de loin, sans y toucher, elles ont plié les draps, les housses, poussé des lits inoccupés, baissé des stores, fermé des portes sur des armoires vides. Je me réveille dans mon rêve, on me dit que je vais mourir, que je suis mort, c’est la raison de tout ce rangement, tout ce vidage, plus d’intérêt de rester là, je tente de rester éveillé, de me lever, mais c’est compliqué, je ne suis pas d’accord avec cette mort annoncée. Les cliquetis et les bruits du couloir s’effacent. La lumière est à nouveau éteinte.

CERTAINS DÉBRANCHAIENT LES TUYAUX


In Les dissonances, Livre 1 Entre-deux, 2019 (TheBookEdition)

Rédigé le 02/03/2023 dans Aparté, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)

AMALGAMES


Ce qui est pur ne tient pas. Seul le métissage tisse les fils solidement. Cherchons notre lignée en dehors de notre clan. Que les lignées se croisent et s’entre-croisent. Que les clans soient défaits chaque fois que nous naissons. Laissons libre le champ des possibles, ouverte la voie des dissemblances.

Et les grandes ombres qui, partout, suintent et s’effritent, détachées de l’ombre qui les tenait ensemble, se rassemblent et s’assemblent pour être l’aplat bleu virevoltant qui ouvre le ciel.

La vertu est seconde. La passion prime et le désir grandit. De place en place, à la seconde où tout pourrait basculer, restera un souffle et une île, un souffle pour respirer, une île pour accoster, une courbe ascendante où vivre.

Nous sommes les sillons rapprochés des perspectives qui nous limitent mais entrent en nous, en silence, dans le grand silence qui pourrait être vide, qui le serait peut-être si nous perdions la conscience d’où nous venons.

Horloge, balancier, distorsion, élargissement des voies et des visions, tout se résume à une ville vidée de ses substances et au fond des corridors ou au bord des fenêtres, les mêmes alarmes, les mêmes effondrements et si nous pouvions revenir sur nos pas, tout recommencerait.

Les amalgames sont des diversions, des détours de la pensée dans l’écriture, des intrusions du vivant entre les mots inertes ou détachés, des visions jointoyantes qui s’interpénètrent et se superposent dressant les labyrinthes des débuts et des fins et des rêves débusqués de leurs sombres buissons.

La singularité de l’écriture est dans les objets et les repères perdus et retrouvés, les petits objets disparus du quotidien, les repères lentement détruits qui falsifiaient le sens, que l’on comprend pourtant et qui reprennent leur place entre les objets retrouvés.

Et les grandes ombres qui, partout, s’assemblent et s’élèvent, revenues à l’ombre primordiale, qui s’étoilent en elle, rétablies dans leur droit d’être l’ombre de l’ombre d’une terre et d’un ciel qui joignent leurs orées bleuissantes au bleu-noir de la nuit.

Les grandes étendues s’enflamment, le blé naissant se consume, le vent réveille l’alouette et transporte loin les vapeurs cachées d’entre les herbes, arrondies au pied des amandiers où la rosée perle toujours, où les brindilles d’un feu léger s’amassent à l’arrivée de la nuit, dans ses yeux grands ouverts.

[...] Je te porte dans moi comme un oiseau blessé / Et ceux-là sans savoir nous regardent passer [...] / Et ceux-là sans savoir et rient et nous condamnent / Malgré les feux vivants d’où s’envolent à tire d’aile / Et les oiseaux dorés et la fauvette seule.

Les amalgames sont des provisions pour la route. En 1987 j’écrivais : Je vais renouer avec le silence, le trouver intact où je l’avais laissé, au fond de moi, sur un bord de talus sous un ciel grand et vide, bleu de désir, lavé de l’amertume. Un vrai silence de vie. Un vrai silence plein de regards voilés, un grand silence tout étendu, léger, un silence de silence. J’y suis.

Fuite en avant, fuite en arrière, retour avant et arrière, métastase, rémission, pensée dissolue étirée jusqu’à son terme, sa fin et sa résilience, retour arrière dans les débuts, les naissances et les accommodations, ne rien laisser paraître qui serait une indécision ou un renoncement, ne rien dire d’exagéré de cette maladie disconvenue.

L’écriture détaille et défait les linéaments qui tiennent les visions et les réduit à des perceptions rudimentaires, des boucles élémentaires d’assonances et de dissonances, met en exergue les liens primaires qui la sous-tendent. Je me passionne d’effilages et de détourages.

La nature argentique de l'œil n'est plus à démontrer, ni la nature désaturée des perspectives gris-bleu de la pensée. Une chambre d’hôtel au bout de la rue, un endroit plutôt calme, une petite place, quelques arbres douteux entourés de façades grises mais pas désagréables, une chambre au premier étage et son papier peint désuet, jaune pisseux et fleurs mauves délavées, un balcon étroit où il était toujours possible de fumer une cigarette ou deux, l’une allumant l’autre. Et le silence des quartiers oubliés, sans âme peut-être, sans fioriture inutile.

Il y a des apparitions qui laissent hors de soi, en altération. Démontages organiques des pièces maîtresses du vivant et du roman. En quoi serions- nous les plus mal placés pour désassembler les leurres des histoires dites "vraies" ?

Oui, le temps est la grande affaire, une question de repères et de datation, de défilement et de feed-back mais pas seulement. Ni même étirement ou contraction. Ni même relatif. Il est tension mais pas uniquement. Il est la basse obstinée qui prolonge les mots sur les mots, s’élève et s’effondre à la fois, s’arrondissant parfois sur le fil qu’il dénoue et tient en éveil jusqu’à la fin qui n’est pas la fin.

A longueur d'ouverture sur le ciel et ses orées, lentement atteintes, lentement longées, pas à pas dans les écarts des feux qui le protègent ou parfois l'entravent, ce ciel qui ne laisse rien paraître des souffrances qu'il enlace et dissimule dans les lignes horizontales des souffles qui le traversent, il est dans les visions aujourd'hui comme autrefois, devenu pourtant plus limpide ou hiératique, plus grand, plus bleu, plus simple, détaché des circonstances, des alentours qui le réduisaient, il ouvre ses bras innervés de toutes les dimensions qui s'effilent dans sa chair diaphane.

Ce ciel est majestueux, limpide et élevé. Il n’annonce rien d’autre que le début du monde. Il s’ouvre sur des murailles devenues transparentes, immergées dans une lumière arrière comme venue du fond du monde, autant de fils irisants et de lignes dispersantes qui s’attirent, s’accrochent et explosent.

Bientôt il y aura une île où respirer.

In Les dissonances, Livre 1 Entre-deux, 2019 (TheBookEdition)

Rédigé le 01/03/2023 dans Aparté, Lettres | Lien permanent

KEY WEST

 

Passer, passer, passer la vague ; dépasser, dépasser, dépasser la meute ; finir sur un bruit, une ombre ou rien ; bricoler. Passage et partage, comment se construit un évènement, une décision ou un voyage ? Comment et quand décider de partir, de prendre la voiture ? D’engranger les allers et les retours et attendre les élévations de la route qui entre dans le ciel ?

Passer, passer, passer les banlieues étirées de l’US1 ; dépasser les boucles de la mémoire ; revenir dans la nuit, presque heureux. Les frontières disparaissent comme par magie, intensément volatiles devenues virtuelles, oubliée la paroi d’immeubles qui barre le front du ciel. Rouler. Nous sommes accoudés au vide des ponts qui sautent les aplats bleus de l’océan. Nous dévalons les nuages du fond du monde et, parfois, la route disparait. Ce que nous abordons est la vision ajustée au mieux de nos sentiments d’une course-poursuite avec la mer. Toutes les nuances y sont. Toute la grâce d’une décision irrévocable, d’une décision qui ne vient pas d’un choix raisonné, d’une argumentation sans faille, mais une petite décision de la vie : respirer.

Les îles ne sont pas loin qui pointillent l’eau opaline qui file sous nos yeux. Nous ne sommes que visions et scintillements de souffle filant qui exhale tout l'entour. Les sensations ne sont plus les mêmes, elles évoquent, elles suggèrent, elles effleurent, elles n’affirment rien qui ne serait déjà dans la lumière, qui serait la preuve du vaste champ aérien qui nous porte, où nous volons peut-être.

Key West est à une encablure.

***

Nous sommes dans les vents levés du Sud, qui balayent les nuages vers le haut du ciel. Il n’y a qu’un aplat bleu opalescent, vertical et désirable, enfantin. Nous entrons dans le pays dont nous rêvions et sommes balancés entre le froid et chaud.

Nous avons le choix des circonstances et le vent qui balaie la côte renforce notre détermination à les considérer comme les seules possibles. Nous arrivons à la pointe la plus éloignée des mondes que nous connaissons. On en reviendra, certes avec quelques images qui finiront pas s’effacer, mais ne s’effacera pas la vision inscrite dans notre mémoire de perspectives hallucinantes de lumière claire.

Le monde est en trois parties : avant, après, maintenant. Des siècles les séparent et seule la dernière est visible de tous les angles de vue possibles. La seule audible. Où que nous soyons dans les airs balbutiants du matin, où que nous dérivions, où que nous regardions le lot des rivages au teintes vertes ou bleues, où que nous nous tenions sur l’île la plus lointaine, c’est maintenant.

Nous avons oublié d’où nous venions et qui nous étions. Nous n’avons pas imaginé ce que serait demain et où nous serions. Seul importait le moment du départ, seule la route importait. Quand arriverions-nous ? Quand seraient épuisées les visions exacerbées de toute la lumière dans les profondeurs des vagues et des nuages à leur rencontre d’un pont à l’autre en surélévation sur la mer et la terre assemblées.

Key West est à une encablure.

***

En boucle cet acquiescement qui viendra après, au bord de la route, tellement retenu et si doux et si bas murmuré que j’en doute encore. Pris dans les bras l’un de l’autre, pris dans nos rêves d’autre chose ou d’ailleurs ou de plus tard, pourtant décidés à reprendre le voyage. Ce qui nous rapproche sur les pilotis de bois du port, ce qui nous tient dans les parfums du monde, ce qui nous attache dans les dernières couleurs du soir, ce qui revient en nous pour rester silencieux, qui arbitre nos regards, ce qui vient est attendu. En boucle trois mots

En boucle le début du monde recommence à chaque pas. A chaque pas qui nous rapproche de la fin du voyage et un à un les ponts rebouclent sur la mer, respiration après respiration dans les élévations vers le ciel, un seul ciel d’aplats bouleversés de bleu aux immenses nuages blancs, sur une chanson de Leonard Cohen A Thousand Kisses Deep. Nous sommes forcément à l’abri et silencieux, arrimés aux ailes d’oiseaux superstitieux qui ploient en masse et effilent les retournements, qui nous emportent.

En boucle je polaroïde et je saisis ce que je ne vois pas sur le moment, à peine un sourire ou de grands éclats de rire que je n’ai pas entendus, un regard droit, trop sérieux, trop attentif, que je comprends à présent. En boucle les photos racontent une histoire que je ne vivais pas. En boucle toute fin est proche et depuis le premier jour je t’appelle Renoir. En boucle à quels moments les routes se décroisent ?

Et traversant Key Largo vers le sud, la mer s’élève en vrille dans le bleu du ciel qui s’approche et nous happe.

Key West est à une encablure.

 

Extrait de Un parfum hologramme et autres suites, 2018

Rédigé le 26/02/2023 dans Aparté, Key West | Lien permanent | Commentaires (0)

BESS ET LA DANSE (EXTRAIT)

La douleur s'insinue dans le phrasé qui départage l’eau vive des voyages, la rivière des embrasements lointains, la mer et son berceau. Les partitions sont ainsi, des paraphrases d’un réel qu’on voudrait sans plainte, sans fuite vers le fini de l’infini. Retournement des prétentions et des images. Il n’y aura aucune ressemblance possible ou vraisemblance entre Bess et les terres battues de silence. Elle est toute entière le silence épaillé de ses doutes.

Autant de danses pour une errance impossible. Autant de danses pour surseoir et suspendre le temps. Tout s’arrime aux cimaises du ciel, les mains, les corps, les mouvements désordonnés de la mer et des vents mêlés, les hautes et lointaines espérances avec cet agacement des lèvres, tout s’arrime et voudrait danser, voudrait s’aimer, tout s’arrime sauf les ailes des anges.

Rédigé le 22/02/2023 dans Images volées, L'atelier | Lien permanent | Commentaires (0)

ÉMILE MOSELLY - LES NOUVELLES

"Moselly était un artiste, dans toute la force du terme. A de rares facultés d’observation, il joignait une sensibilité des plus riches et des plus vives qui le faisait jouir intensément, mais aussi souffrir de même. Comme le poète, «son âme de cristal» vibrait au moindre choc, au plus léger effleurement. On pourrait lui appliquer en tous points ce jugement qu’il formulait au cours d’une étude sur Maupassant" (Revue Bleue du 21 mars 1914) : «Tandis que l’homme vulgaire vit sa vie quotidienne en recevant par l’oeil toutes les impressions du dehors, l’artiste, par l’éducation, sait se recréer, se façonner un sens nouveau, qui perçoit des lignes émouvantes, des contours parlants, des jeux de lumière subtils, des colorations inconnues et pourtant vraies, là où les hommes inattentifs ne perçoivent que les manifestations accoutumées du monde extérieur. Poussant encore plus loin son apprentissage, il distingue, dans le tumulte des sensations colorées, des nuances que nous ne voyons pas, qui existent pour son oeil, qui ne se sont révélées à lui qu’après une longue initiation ; il discerne, au fond des ombres les plus épaisses, les sourds accords de ton, et les vibrations mourante de la lumière, qui baignent dans l’or fluide les clairs obscurs de Rembrandt, ou bien il découvre dans l’ombre des feuillages, projetée sur les murs d’une ferme et sur le sol, les nuances outrées de la peinture impressionniste, nuances qui surprennent, mais qu’on reconnait justes, à la réflexion, car elles ne sont que de la sincérité." - Charles Daudier, article sur Emile Moselly, Le Pays lorrain d’août-septembre 1919

Emile Moselly, Nouvelles, portraits et croquis, V.1, chez TheBookEdition

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Rédigé le 16/02/2023 dans Moselly, Parution | Lien permanent

Aparté

La terrible imprécision du silence : retourné, dénaturé, bouleversé sur ses propres aplats.

La ville est parcourue de vide et de ciel fluorescent.

Là, tout près, souvent la nuit retombe dans ses gorges inassouvies.

La place est intermédiaire où les hommes ont fourvoyés leurs rêves, où les femmes les ont suivis, reines et rois, l'archet, les cavaliers morts à la charge, les fous, les soldats complices, tout un peuple d'à-côté.

Le vrai du faux qui balance et fait douter. En partance pour le début du monde. Gravité contraire. La folie est solidement arrimée aux cimaises vides de murs vides. Noirceur de cet échange entre faux et vrai.

Le nouveau monde en trois dimensions : ciel, verre, humains en perdition.

Rédigé le 08/02/2023 dans Aparté | Lien permanent

FORMES & DÉFORMATION *

Ni champ vide, ni disparition des orées. Tout est limite dans les vides, même les silences qui s’y installent malgré nous. Et toute parole est une limite imposée aux regards et aux visions qui s’accordent aux espaces que nous rencontrons, qui sont nos parades au dénuement. La nature est soulevée d’un seul mouvement, d’une seule portée. Les failles sont dans les mots, tout le vocabulaire abandonné des attentes et du voyage, au seuil des prochains départs qui tardent, nécessairement. Tout n’est que caricature d’un autre monde, une farce immonde. Et entre deux rivages, les disparitions sont entretenues dans des vides, versatiles ou incomplets. Ces vides arborescents sont la première entrave à notre marche, la première gifle reçue, le premier revers à notre intimité. Nous partions, nous sommes tombés du très haut rêve qui nous emportait. Nous ne sommes pas maudits, nos sommes abandonnés. Encore sur le départ, de l’autre côté des mots accumulés et des paysages bousculés d’artifices et de leurs bruits décalés. Voilà à quoi ressemble une rupture dans les vides qui nous emportent et nous rassasient. Nature soulevée du moment.

* Sur une musique de Ezio Bosso (… and the things that remain / Unconditioned - Following, a bird)

Rédigé le 02/01/2023 dans Aparté, Suites viscérales | Lien permanent | Commentaires (0)

RÉMANENCE *

Une présence déroutante suivie d’une disparition imprévue ou inespérée, selon le moment, l’état d’âme, le flot de la pensée qui en redemande, qui n’en démord pas d’avoir provoqué cette chute. Un effondrement spectaculaire brouille tout regard qui tenterait de le suivre. Plongeon indescriptible des mots, tout est retard à nommer, tout est déplacement singulier à raconter. Les mots manquent. Les mots me manquent. Je l’ai revue plusieurs fois, je n’ai rien dit, je suis passé à côté de sa parole sans y répondre, je suis passé à côté de toutes ses larmes, imprévisibles. Nous sommes des reflets dans des miroirs, rien de plus, et toutes les apparitions mènent au renversement des perspectives qui nous tenaient debout même avec tous nos faux pas ou nos retranchements dans des silences artificiels, fabriqués avec des mots qui ne sont pas les nôtres. Des mots arbitraires qui seraient notre bon plaisir à détruire ou l'annonce de notre fin, de déshérence en déshérence, cette brutalité des mots oubliés ou perdus, selon le moment, l’état d’âme, l’état d’une pensée qui s’effrite et rompt le pacte qui nous liait au monde.

* Sur une musique de Georges Delerue - Solange et Christian du film Préparez vos mouchoirs

Rédigé le 22/11/2022 dans Aparté, Suites viscérales | Lien permanent | Commentaires (0)

LE BONHEUR AVANT LA NUIT *


"Pour traduire le silence, il faut vivre au-delà de son propre silence, entendre et retenir toutes les voix qui se taisent en nous." (Joë Bousquet).

A la fin la nuit est demeurante, immanente. Surplus d’instants qui l’installent en amont de toute vision possible, de toute rétorsion d’une lumière incidente, névralgique, peut-être innocente, on ne sait pas. On ne connait ni sa densité, ni sa transparence, ni tout ce qui en fait une épaisseur indicible. Il suffit de traverser, de passer les seuils, de franchir les horizons qu’elle dépose sur notre chemin pour être apprivoisé. Ce n’est plus un chemin, c’est une houle de terre noire qui remonte vers nous, qui nous emporte quand on jette un regard, qui nous happe quand on respire les souffles qu’elle libère, qui nous envahit de toute sa matière lourde, concise comme un serment. Parfois les métamorphoses dépassent les apparences et la transfiguration de cette nuit qui meurt dépose ses affres "comme si notre peine lui était devenue claire en nous déchirant", évidente comme cette mort en plein visage quand on se résigne, quand on brise ce qui restait d’un vrai bonheur.

* Sur une musique de Patrick Doyle - The Ladder du film Sleuth

Rédigé le 15/11/2022 dans Aparté, Suites viscérales | Lien permanent | Commentaires (0)

BON DEBUT *

Argument de l'ironie, argument du renoncement. Il n’y a pas de rédemption sans mémoire, sans ajout d’une errance, traverser toutes sortes d’espaces pour frôler les repères déplacés des champs de mines, pas de rédemption sans égarement volontaire. L’argument est toujours le même, faire le tri ne sert à rien, alors tout accepter ou tout refuser, c’est encore la même chose. Dans la fuite, on ne voit rien, on s’appuie sur des dérives que l’on pense immobiles, qui sont de fait immobiles dans un espace qui se déforme à une rapidité effrayante, où nous perdons pied, littéralement. L’argument de l’incidence ne tient pas. Pourquoi chercher à épiloguer sur des lignes de fuite qui n’existent pas, qui sont des illusions de fils à suivre, qui tissent seulement le vide d’un vide plus grand devant nous. Pas de rédemption sans outrage à soi-même, dans la fidélité à soi-même. Continuer à traverser les champs dérobés de ces traces en nous de la vie et la mort à venir mêlées, au loin.

* Sur le concerto pour piano in sol majeur, Hob. XVIII de Haydn

Rédigé le 11/11/2022 dans Aparté, Suites viscérales | Lien permanent | Commentaires (0)

PAS D'APPARENCE *

------------    Le réel est en désordre, dérivant, en fin de course, égaré et trébuchant. Un réel qui ne donne plus d’images, qui en est envahi et les enfouit loin de visions possibles, un réel aveuglé d’un trop-plein de lui-même. Et in terra pax depuis la profondeur du réel. Ce qui monte à la surface est un silence, un presque silence d’un début de monde, une naissance dans le souffle des voix, les voix parcourues des aurores et des crépuscules. Il y a des nuits qu’on ne bouscule pas, qu’on devine, qui chantent le ciel en elles, tout autour d’elles, voiles, voilures et nuages qui s’évanouissent en elles, froissées des traces de l’ombre et du sillage des étoiles, jusqu’au linceul qui les recouvre, pour attendre la venue de nouveaux mots plus justes pour les nommer. Ce que je sais des nuits n’est pas en elles, mais de ce qui les porte et les élève, ce petit morceau d’univers dans les yeux.       ------------

* Sur le Gloria in excelsis Deo - Gloria in D, RV589 de Vivaldi

Rédigé le 07/11/2022 dans Aparté, Suites viscérales | Lien permanent | Commentaires (0)

CETTE HISTOIRE *

------------    Il y a des moments qu’on oublie ou qu’on pense oublier, qui sont toujours là comme des défenses en pleine mer pour arrêter les bateaux, la lune, les pensées, tout un peuple à l’abordage et qu’on essaie de calmer. Rien ni fait. La houle est toujours plus vaste et plus forte, haussant sans cesse ses épaules, comme un désert infranchissable, comme une vengeance de la nature. Tout est dans l’obstacle qu’on cherche à éviter, on le contourne une fois, un le saute une autre fois, on l’évite encore et encore, jusqu’au moment où tout s’effondre, comme les maisons sous les bombes, comme les grands arbres arrachés vite et net de la terre par des mains vociférantes. Tout est devenu un assemblage de feuilles, de chair, de terre, de vermines et d’insectes. Tout est devenu ce qu’on attendait, des charniers à perte de vue en guise de paysage. Et voilà, la mer se calme, le vent faiblit, les ombres s’estompent, la douleur passe. Ce qui reste en nous est intraduisible, un moment qu’on oublie ou qu’on pense oublier.       ------------

* sur une musique de Peter Gregson – Bach Recomposed: Cello Suite No. 1 in G Major, BWV 1007: I. Prelude

Rédigé le 07/11/2022 dans Aparté, Suites viscérales | Lien permanent | Commentaires (0)

C'EST LE MOMENT DE FUGUER *

------------    Survivance des anciens mondes, sans mélodie, sans parole, juste des gesticulations, survivance de l'absurde et des miséricordes, des prières frelatées, survivance des aveux extorqués, mort en défaut, mort en survie, survivance des prophètes, toute une horde d'imbéciles. Où sont les places ? Ni orgue ni harpe, ni qanûn, ni oud, seulement des rengaines agenouillées à foison jusqu'au harcèlement, à en perdre la raison, ce qui est si simple à obtenir        expulsez-nous, ce qui serait si simple sans passé        maudissez-nous et sans futur        loi terrible des fanatiques. Dieu n'est pas mon ennemi, les prophètes oui. Ce que ne dit plus la candeur, ce que la vérité a oublié, ce que la sincérité cache, toute l'exécration de l'humain est là. Où disparaît le réel il y a encore des pièges. Peuples mortels, même l'anathème n'a plus de valeur, le crime de l'esprit est une faute. Ce qui nous vaudra notre disparition. Les ombres sont trop épaisses.       ------------

* Sur la symphonie n° 4 en mi bémol majeur dite romantique de Anton Bruckner

Rédigé le 05/11/2022 dans Aparté, Suites viscérales | Lien permanent | Commentaires (0)

ÉMILE MOSELLY - LES CAHIERS

1898-1914
Notes-Paysages-Hommes et choses

Edition établie par Gilles et JFrançois Chénin
TheBookEdition, 2022

Notre grand-père, François Chénin, nous mit sur la voie de cet aïeul que nous aurions pu oublier voire ignorer. Il aura fallu quelques années pour renouer avec la maison familiale qu'Emile Moselly (E.M. Prix Goncourt 1907) a si souvent décrite, où, enfant, j'avais trouvé ma place, un grand fauteuil club dans l'entre-deux en haut de l'escalier venant de la cuisine. Je m'y endormais au retour de l'école, plié en deux pour me blottir, je lisais parfois. Les livres n'étaient pas loin, serrés dans une petite armoire vitrée. J'ouvrais un livre au hasard, je lisais et chaque fois je plongeais : "…Pourtant les beaux jours approchent, car dans les couchers de soleil, des coulées de lumière plus chaudes se déversent de l'horizon, et dans les nuits plus claires, passent des souffles tièdes…" (E.M.). Et chaque fois j'étais pris par le rythme de la phrase et je sentais venir en moi les sensations des images sur lesquelles l'auteur avait mis des mots. L'image, le rythme, les mots, c'est le fin mot de l'histoire de ce plaisir de lire. Et grâce à notre grand-père qui a soigneusement classé et conservé les écrits de son père (E.M.), nous avons pu pénétrer, avec les Cahiers, dans la fabrique littéraire d'Emile Moselly.

Il s'agit bien d'une fabrique, pleine de doutes, de silences et d'objections, une fabrique laborieuse, emplie d'un savoir littéraire longuement acquis où s'amassent les mots, les idées, les sentences et les visions qui en naissent. Mais aussi toutes les références silencieuses qui nous font côtoyer l'indicible travail de l'écrivain. Et tous ces mots, les oublier, les dépasser et créer par soi-même en puisant dans "son être à soi" pour concevoir et étreindre "la réalité si féconde en inspiration de toutes natures". Ces Cahiers sont l'instrument de son intimité "intellectuelle et morale". Il ne s'épand pas, il n'est pas sentimental, il s'épanche peu sur lui-même et les Cahiers ne sont pas un journal intime. Il s'y exerce à trouver sa voie propre, son chant/champ intellectuel, sa voix littéraire. Tout au long des souvenirs et des évocations lorraines, bretonnes, normandes ou parisiennes, explorant ses sensations et s'exerçant aux descriptions et aux portraits qu'il dessine d'une humanité souvent misérable, E.M. cherche à devenir lui-même.

Il écrit : "Jour d'angoisse, avec l'obsédant problème de l'originalité. j'ai trop lu, je retiens trop. Oh ! ne rien savoir, se couper de tout uniment en face des choses, - avoir l'ingénuité de sensation d'un simple et les propriétés d'un artiste. Mais est-ce possible ?" Et nous avons fait ce chemin de la création littéraire avec notre arrière-grand-père revenant ainsi sur les lieux et dans les paysages que nous avons connus enfant, certes à une autre époque, mais encore empreints d'une beauté et d'une sérénité qu'il avait si bien décrites. Difficile de trouver le point focal de ce pays qu'il arpente de long en large, que j'ai aussi parcouru enfant quand j'habitais dans la grande maison de mon grand-père, la maison de son père. Le village ? La Moselle ? La maison ? Les voisins et voisines ? Sa famille ? La forêt ? Souvent La Rochotte et le Grand-Saulcix viennent ponctuer la géographie de ces boucles de la Moselle qu'il connait par coeur. Et même éloigné de son village, à Lyon, Montauban, Orléans, Rouen ou Paris, il sait se remémorer et évoquer les figures de son enfance, ses voisins, son instituteur, sa mère qu’il aime profondément et son père à qui il doit tant, les vignerons et très souvent les humbles de la terre auprès desquels il s’enrichit d'une humanité empreinte d’attention et de respect.

Il est anachronique Emile Moselly ! Il est un déraciné de son temps, non pas qu'il s'acharne à rester attaché à un passé dit "meilleur", - il n'idéalise pas le passé, mais revendique son refus de passer d'un malheur paysan à une misère ouvrière. Il croit - comme beaucoup de son époque - au progrès mais il en redoute les leurres et les asservissements. Il sait que la pauvreté et la misère, qu'il côtoie depuis l'enfance, relèvent d’une injustice sociale que l'indifférence, l'inaction et le temps aggravent. Rien n’est plus urgent que de sortir de la terrible alternative entre la misère et la mort. Il dénonce avec véhémence les outrages de la richesse qui gaspille, rend nécessaire le superflu et ignore ce qu'elle a tiré de l'exploitation de la misère. Il écrit : "Mais de nos jours le patron d’usine qui ne connait pas ses ouvriers, le propriétaire de forges, qui chasse dans la Sologne ou passe l’hiver à Menton, dans un ciel que ne salit jamais la fumée de ses cheminées. Bien mieux, cet actionnaire d’industries, de mines, qui ne sait même pas où elles se trouvent, où grouillent autour des corons, autour des puits, dans les cités noires de suie, les fourmilières humaines qui se sortent le pain de la bouche pour nourrir les gras loisirs."

E.M. ne ménage pas sa critique d'un ordre social fondamentalement injuste et que le devoir de chacun est de "sortir de sa tour d'ivoire" pour entendre ce que dit - et veut - "l'immense pitié humaine" dont chacun, encore, doit être comptable. Témoin d'une époque qui évolue, progresse et se modernise, E.M. en fustige la vulgarité. Sa vision de la modernité est pessimiste et noire tant il pressent une grande partie des maux qui se concrétisent de nos jours : destruction de la nature, pollution et gaspillage des ressources dans l'indifférence du Capital. Il trouve dans sa Lorraine, qui se transforme mais ne s'enrichit pas, les motifs et les moyens d'une écriture qui dépasse largement la vision régionaliste dans laquelle l'époque et la critique l'ont maintenu (et encore aujourd'hui). Certes la Lorraine est son coeur vivant et il sait décrire tous les visages de ceux qu'il considère comme "un peuple". Mais son ambition littéraire, sa raison d'écrire est de témoigner de cette humaine condition à la recherche du bonheur et de la quiétude, qui n'y parvient pas et qui retombe dans les ornières boueuses de la misère dont elle a tenté de s'extraire.

Cette humaine condition, c'est Alix Morquin, son voisin avec lequel il passe des nuits de maraude dans la campagne de Chaudeney, et qui perd toute sa vigne en raison du phylloxéra. C'est Chapiron, son camarade de collège, qui dénonce furieusement l'empoisonnement de la Moselle "et de toute la terre" par les usines et les produits chimiques, la disparition des poissons et de la faune alentour. C'est encore son voisin Morquin qui raconte "sa plus belle partie de pêche" et qui ramène dans sa trouble (filet) "un enfant mort emmailloté de langes". C'est "son voisin d'en face", "un roublard" comme il dit, chez qui il a trouvé, "parce qu'il est fertile en bons mots, en dits plaisants et narquois qui lui viennent du passé, du fond de sa nature […], la bonne humeur de notre peuple". C'est Philippe, domestique chez un riche fermier, qui perd ses deux jambes par une nuit de gel, alors forcé de mendier pour manger. C'est sa mère qui passe sa vie à remuer la terre et qui, malgré l'âpreté du temps, consent à ce que son fils soit "envoyé aux écoles". C'est sa fille Germaine, qui vient de naître, dont il dit : "Et mon coeur sourd une immense pitié, parce que ce sera une femme, plus faite pour souffrir […] une femme qui sera torturée dans son corps, dans son coeur, dans sa pensée […] avec ce rôle qu'on lui a fait dans notre civilisation barbare."

"On a beau crier Egalité, Fraternité […] jamais les barrières qui séparent les hommes n'ont été plus hautes depuis qu'elles sont élevées par l'argent" écrit E.M. Alors cette fabrique littéraire que sont les Cahiers est aussi le lieu où il raconte son apprentissage politique, où sa fibre républicaine, laïque et socialiste se confirme. "Oui, c’est là, dans ce coin obscur de la terre de Lorraine, que c’est levée en moi, avec un grand trouble [...] dans tous les organes de la pensée, cette préoccupation des questions sociales." Et même si l'histoire de la littérature le classe parmi les auteurs régionalistes, comme si écrire à partir d'un lieu et de ses attachements était comme "un sous-genre" de la littérature - voire une forme de reproche, de dénonciation sous-jacente, celle du repli sur soi et du petit nationalisme identitaire des terroirs -, E.M. témoigne, bien au contraire, d'une pensée puis d'une parole à la portée émancipatrice qui se compose à partir du vivre avec tous ceux qu'il connait et du vivre dans tous les lieux qu'il parcourt.

Et c'est encore dans cette Lorraine qu'il trouvera les raisons d'une aventure littéraire qui, malgré sa courte durée (à peine 16 ans), le rendra maître dans l'art d'une narration impressionniste, loin du naturalisme qui s'épuise à imiter la nature ou du positivisme et des tentations scientistes de son temps, loin aussi du roman "moderne", pourtant débarrassé de sa gangue romantique, qu'il apprécie peu. Cette narration est tremblante et vivante, parfois exacerbée mais elle retrace cette profonde intimité avec sa maison, son village, la Moselle, les forêts… Alors E.M. reprend le chant de la terre qu'il connait le mieux, celui d'une nature qu'il sublime d'images, de sens et de rythmes, à travers laquelle sa vocation impressionniste se confirme. A la fois primitif dans ses élans et cultivé dans ses réflexions, E.M. affirmera dans son oeuvre cet alliage particulier de l'amour de la terre et une sensualité vibrante en parcourant une Lorraine savamment idéalisée. E.M. sait très bien qu'il n'est pas fait pour l'action et il restera indépendant à l'égard de tous les courants intellectuels et littéraires de l'époque préférant les sensations, recherchées, analysées et savourées pour ce qu'elles sont : une jouissance de l'instant, une émotion et un frisson de la vie universelle.

JFC

CouvmosellydefTheBookEdition, 2022

Rédigé le 05/10/2022 dans Aparté, Moselly, Parution | Lien permanent | Commentaires (0)

RELIRE LES DÉPENDANCES

1

Nos terrasses sont ouvertes et nos maisons sous le vent, .... la suite

 

 

Rédigé le 30/08/2022 dans Aparté, Key West, L'atelier | Lien permanent

FIGURATION DE L'ABSENT

Figuration de l’absent est une suite écrite entre le 18 février et le 14 décembre 1978, à la suite de la mort de Nicolas, mon frère aîné. Revenu plusieurs fois sur ce texte, il est l’écriture tremblée d’une sidération dont, sur le moment, je n’ai pas vraiment conscience, trop occupé par le désir fou de ne pas être retenu en arrière. Cette suite est disparate dans laquelle, bien souvent, l’esprit de sérieux me fait prendre des poses qui, aujourd’hui, me sont devenues étrangères. Comment ai-je pu mélanger ainsi une peine bien légitime que j’évoque en filigrane et une réflexion sur une logique de la disparition sans doute, à ce moment-là, mal comprise ? Cependant, je ne m’empêche pas de revenir vers ce texte, de le reprendre, et de lui trouver une valeur de vérité que j’ai parfois du mal à accepter car il s'agit d'une mise à l’écart que je ne peux admettre. Et je comprends, qu’à ce prix, j’ai continué ma route.

Figuration-absent 2

Chez TheBookEdition

Rédigé le 30/08/2022 dans L'atelier, Parution | Lien permanent | Commentaires (0)

EN AVANCE DE L'INSTANT

Si nous perdons la familiarité de la confidence, ou des simples mots qui nous unissent de loin en loin ; si nous ne savons plus nous accommoder des rires ou des cris, parfois de trop nombreux regards ; si nous empêchons un geste complice, celui qui joue avec le quotidien, tout entier aujourd’hui ; si pour satisfaire le cœur ou la raison d’habitants anciens, douteurs d’amitié, nous laissons prévaloir une indifférence réciproque ; si nous cassons comme verre à chaque fil tendu et vif d’amertume ; nous n’aurons jamais assez de patience partagée pour préserver l’instant de l’instant dans lequel nous avançons encore, le creux de silence où nous pourrons toujours parler, et nous taire quand nous aurons trop douté.

(in je ne mourrai pas)

Rédigé le 21/08/2022 dans Aparté, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)

RENDEZ-VOUS

Ne te hâte pas. Dis leur d'attendre la nuit, cette nuit sans lune sous les étais du ciel. Habitue les au silence, conspire avec eux, sois indiscutable, apprends leur le maniement des quolibets et de la dérision et ne te hâte pas. Ils grappilleront dans les vergers discontinus du temps, ils seront colosses, culbuteurs libertins, criminels pour tenter de te plaire, ils seront des amants d'exil, myrmidons parmi les étoiles, fonctionnaires de la nuit, cette nuit sans ombre sous les étais du ciel.
Ne te hâte pas. Invente leur des ivresses insoupçonnées, des rêveries inhumaines, désarticule tous les miracles, rends les patients de ta propre patience, sois le forain de leur irritation, désapprouve les parfois d'aimer le sperme frelaté, menace de les quitter, n'accepte jamais qu'ils mendient. Ils t'excluront, abandonnés eux-mêmes, ils affirmeront qu'ils te protègent, sois leur harpie, comble leur malice d'une plus grande légèreté jusqu'à les rendre jaloux de la foudre et des chimères, du temps qui passe, des offenses dont tu leur rends grâce, célèbre leur naissance, casse leurs berceaux, rends les vigilants, ils seront tentés par tes ébauches et les masques que tu laisseras. Ils en rêveront, malgré eux.
Devine leurs pensées sans les faire parler. Ils se trahissent quand ils pensent te connaître. Sans grâce et torves sont les mots qu'ils prononcent. Evite les quelques temps. Ils te seront reconnaissant de les fuir. Donne leur à espérer plus qu'ils ne pourraient le faire. Le monde est à toi. Donne leur du temps. Menace de les délivrer. Raconte leur la délivrance, le calme, le sommeil mérité, le creux et le plein de la lumière dans le vide, là sur le lit de la mort.
Evite les encore car leur piété est insupportable. Sois leur avocat, donne leur une place dans l'éternité même s'ils t'oublient. Les verres à vin sont les cœurs irrésolus du ciel, où les étais tiennent la lumière, rien que la lumière. Et si tu marches avec eux, ne te hâte pas.

1997

Rédigé le 04/08/2022 dans Aparté, Key West, L'atelier, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)

DANS CETTE ATTENTE

Dans cette attente du dernier départ, il y aura la route et le sentiment de la route. Sur cette terre, il y encore la terre, cette première terre entrevue, inassouvie. Depuis, il souffre sur la terre, il demande des témoignages et accumule les preuves de son errance.

Dans cette attente de la dernière rencontre, soudain il a conscience de surprendre un geste, d’être ce témoin inespéré. Il n’y a que l’ombre. La vie coule, portée droite sur les parois vides. Ils ne sont déjà plus là, ou il ne les voit plus, ou ils ont été absorbés par le ciel et la lumière du ciel.

Dans cette attente du dernier jour, sous les étais verticaux et les superpositions d’aplombs noirs et gris, il a noté en bas de page, l’effacement de leur parole. Trop loin pour les entendre. Revenant sur ses pas, l’ombre du mur était vide.

Dans cette attente du dernier rêve, mais le rêve n’était pas sa dernière chance, il revint sur ses pas, retrouvant sa place dans le flot qui l’entourait, tentant de saisir ces ombres furtives, mais arrêtées, comme pour finir une histoire, en trouver enfin les raisons et les places. Il s’installa dans le tourbillon du vide, à la rencontre de cette réserve qu’il décela dans leur posture immobile. Qui était immobile ? Qui passait ?

Dans cette attente d’un dernier voyage, il attendit de les revoir. Que disaient-ils ? La coursive était maintenant déserte. Il ferma les yeux, les crut plus proches. Se séparaient-ils ? Il surprit cet instant où le silence est un adieu.

Dans cette attente d’un dernier signe, au seuil de la disparition, au début de la dernière histoire, parce que la suite est décidément cachée, même s’il arpente à pas lents, pour se faire une idée, ce qui ressemble à des terrasses dressées contre des pans de lumière, il savait qu’il les perdrait. C’était elle, c’était lui.

Dans cette attente de la dernière révélation, il souhaita les croiser, peut-être pour les reconnaître. Il se déplaça encore et l’ombre portée de leur ombre s’est évanouie. Voilà la désillusion ou le regret : ce qu’il espérait d’eux n’est qu’une trace sur le rebord abrupte d’un passage entre deux mondes. Il se résigna à rebrousser chemin.

Dans cette attente de la dernière fois, sur cette terre, il y a encore la terre. Depuis il les perd à chaque fois qu’il tente, en s’écartant latéralement des chemins habituels, de les voir derrière leur ombre, mais c ‘est seulement une ombre toujours projetée sur l’ombre dans l’explosion verticale des vides sur le plein, où ils étaient, à cette distance de deux êtres qui ont tout dit, qui ne se retourneront pas, qu’il ne verra plus.


Août 2001

Rédigé le 03/08/2022 dans Aparté, Key West, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)

QUAND LE DÉSIR EST INDÉCIS

C’est un pli sur le sable comme un livre ouvert, un pli de la mémoire bouleversée, parce que la vie n’attend pas et l’étendue à nos pieds est un débarcadère de plus sur l’avancée du ciel. Ce livre ouvert nous retient.
Mais nous tombons et la vie s'écrit à l'ombre des pages dans l'ombre de la vie et toutes ces pages d'une vie morcelée, les unes sur les autres, ont l'épaisseur d'une nuit froissée - une seule nuit - vide et sans plaisir.
Quand nous tombons à pages ouvertes, à pas comptés, à rives vives, quand l'histoire s'interprète dans le clair-obscur d'un livre toujours déplié, cet espace est le nôtre comme des arrangements ininterrompus d'une mémoire inventée.
Inventée, acérée, réelle, et effacée par un seul coup de la main, toujours immobile, comme enivrée par la lumière qui la porte. C'est une mécanique saillante, cette mémoire encombrée, surgit au milieu des histoires de notre vie, de la première à la dernière page, comme un début à tout.
C'est un fait, une raison, les mots manquent, le temps a joué de ses effets, la réalité est que nous tombons encore. Nous agissons en prisonnier, éreintés par le vide qui nous attire, sans un cri. Rien ne débute, rien ne fuit, il n'y a que la chute.
Une chute en nous comme une chair passe sur une chair, une chute en nous, mais une envie ingrate de fermer le livre, de déranger encore une fois le ciel, d'oublier l'histoire. Peu importe si les pages sont blanches, les mots sont toujours là, ombres d'ombre.
Une chute en nous comme un poing se délivre du coup qu'il porte, un effacement ajouté aux disparitions successives tout autour de nous, le livre ouvert tient ses secrets comme un livre fermé. Nous nous débarrassons trop vite du désir qui vient.
Les pages égrainent le silence, cette rumeur égorgée dans un silence plus grand qui l'absorbe, au bout de notre histoire quand le désir est indécis, quand il tombe comme une main meurtrie, cette feuille déchirée, noircie, juste avant de disparaître, à peine heurtée, dessinant l'horizon effilé d'autres désirs, encore inavoués.
L'effroi est immobile.

Février mars 1999

Rédigé le 02/08/2022 dans Aparté, Key West, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)

UNE DANSE

Là se bornent à présent mes désirs. Me tenir debout en plein air et voir le ciel immense et bleu au-dessus de moi, contempler une dernière fois l’infini hurlant.
Paul Auster – Dans le scriptorium, 2006

Tu tombes, mais tu te relèves immédiatement, tu ne retiens pas ton souffle, tu as les gestes précis, ton visage ne laisse rien voir, tu tombes encore et encore tu te redresses, tu as passé une limite, celles des aveux qui plongent aux racines de ton être, tu vis bouleversé, tu entres dans un nouveau monde où les obstacles sont imaginaires mais tu trébuches, tu tombes cette fois plus lourdement et tu reviens meurtri, ton bras gauche a encaissé une forte secousse et cette douleur qui vient à ton esprit te laisse haletant, désemparé aussi, presque honteux, tu reprends position, tu n’as pas le choix, tu es le projectile et la cible, l’aile et l’air qui la porte, il faut y mettre la forme et dans l’entre-deux où tu avances, tu énonces les décalages qui anticipent tes pas, place tes rêves où ils doivent être, relève-toi, relève-les, mais tu tombes et tu n'as plus le choix, garde en mémoire les instants où se tenir debout ne demandait pas d'effort, place haut ce que tu veux atteindre, et d'autres pas encore qui décident de l'avenir, des horizons très proches comme des lointains voyages, tu tombes.

Rédigé le 01/08/2022 dans Aparté, Key West, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)

LA SUPRISE

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Toute surprise recèle une aventure comme toute aventure est une surprise. Elle lui avait dit : Envoyez-moi une surprise... une petite surprise pour demain matin. D'accord ?
Il pensa d'abord au bonheur de la surprise. Mais une surprise sans secret surgissant n'est plus une surprise. Faire une surprise sans dévoiler le secret de la surprise, tel était maintenant son dilemme. Prolonger le bonheur de la découverte, tel pourrait être la surprise. Il y avait bien une surprise, il la garderait cachée jusqu'à son retour, voilà ce qu'il pensait. Mais répondre à sa demande ! Comment ? En dévoilant une partie de la surprise. Un paquet cadeau est déjà une surprise, une surprise faite à la surface du papier ou de la boite qui cache la surprise.
Dans la surprise, il y a deux réalités : la réalité vue et la réalité cachée. Ce que l'on reçoit, auquel on ne s'attendait pas, est déjà une part de la surprise et ce que l'on ne sait pas parce que la surprise reste intacte, indévoilée, une autre surprise comme un secret. La surprise, c'est le secret, mais un secret qui se dévoile en surface, juste en surface. La boite tient le secret en réserve pour une autre surprise.
Il se demanda : qu'attend-elle ? A-t-elle une idée de la surprise ? Pense-t-elle au secret qui charpente toute surprise ? Ou bien a-t-elle l'idée de l'aventure qu'elle aimerait vivre par surprise, dans la surprise d'un secret dévoilé ? Il se rappela ce mot d'André Breton : La surprise doit être recherchée pour elle-même, inconditionnellement. Elle n'existe que dans l'intrication en un seul objet du naturel et du surnaturel (André Breton, L'Amour fou, 1937). Comme un dehors et un dedans. Un dehors qui cache le dedans. La surprise se révèle dans cette surface du dehors qui masque la réalité de la surprise, qui est dedans.
Mais la surprise, c'est surgir et prendre. La surprise est tout entière contenue dans le secret soudainement dévoilé qui mène à l'étonnement, voire à l'ahurissement, comme un coup de théâtre. Et il pensa : chaque minute qui vient est une surprise, chaque heure devant soi la promesse de sensations insoupçonnées, chaque jour à venir l'inconnu qui surgit, un éblouissement dans l'horizon. La surprise nait du temps devant soi et le secret qui la tient est indicible qui deviendra sa raison d'être.
Il y a bien une surprise. Il y avait pensé avant qu'elle ne le lui demande. Et qu'elle le lui demande fut une grande joie pour lui, comme la révélation d'un secret qu'ils partageaient sans le savoir. Il y a bien une surprise et elle est tout entière dans cette boite qu'il tient maintenant dans la main mais dont il ne peut ouvrir le couvercle sans en trahir le secret. Cette boite lui est destinée, elle l'ouvrira quand il la lui donnera et ce sera sa surprise. Le secret est toujours à double détente et coule dans l'entre-deux du temps qu'il faut pour le découvrir et le saisir. Telle est la surprise !

Rédigé le 31/07/2022 dans Aparté, Key West, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)

TROIS LITHOGRAPHIES

I


Cette voix, la nuit qui vient, inachevée, voix qui saigne et qui tombe, arc-boutée sur le flanc des bruits alentours, irritée, plainte parmi les plaintes quand les grands instants de la fin du jour s’espacent et disparaissent, voix éreintée dont le rythme secoué feint de dire la souffrance, fausse voix dans le tourbillon noir du soleil qui s’efface, cette voix ramassée dans son souffle, pesante, chapardeuse de temps par l’attention qu’elle réclame, voix frappée de l’angoisse d’aller et de se fondre dans d’autres voix, voix plus libres, marcheuses du soir, promeneuses des détours et des venues d’ailleurs, voix morganatiques des désirs de la nuit, cette voix, entre toutes, plus épaisse et plus raide, astreinte à geindre infiniment, cette voix de faux-fuyant, cette illusion de se propager, cette illusion d’être écoutée, cette voix morte qui plonge dans l’ombre emporte dans sa nasse les restes d’un plaisir qui n’était pas le sien.

II


Tomber, soulever encore la chape du ciel, gagner et s’évader par la porte battante, blanche sur un monde révulsé, illimitée sur l’horizon qui tremble, passer à genoux, irrespectueusement à genoux, se débattre désassemblé du monde, prisonnier du réceptacle de notre disparition du ciel, tomber en droite ligne dans les coulisses de l’ombre, tomber, finir, fuser comme une poussière défaite, absorbée par le vide, le ciel est là, il joue, il attend, hérésie laiteuse qui coule dans les yeux, se relever arc-bouté aux fissures du vent, seul appui dans ce désert mouvant, impalpable ligne sur la trajectoire de la chute, c’est devant, c’est derrière, tout autour comme un dédale de gestes incontrôlés, la vie agite encore ses membres dépecés par les gifles incessantes de ces instants fugaces, à peine vécus qui éclatent en lambeaux éructés, hurlement de la chute, hurlement du néant, hurlement de la mort soudaine. La délivrance attendue s’efface, tout devant, toujours devant, la ligne est toujours droite, de prison en prison, d’un ciel à l’autre, au confluent de l’horizon et du silence nécessaire, tomber.

III


Dans ce voyage, un seul horizon, des tabourets noirs en enfilade, de l’espace autour de soi, des lignes de ciel pur et froid en soi, tout un inventaire de bruits, du scintillement des fauvettes aux coups saccadés et sourds d’une ville assoiffante, du fond d’elle-même comme un tambour qui monte, et derrière le mur, au-delà de la porte, des arbres à profusion, des marteaux tombés du ciel qui frappent l’air et l’enflamment, parfois une absence, de celles qui nous basculent vers le silence, jamais vraiment atteint, des rampes d’orages installés qui se répondent, instantanément, des regards, tous adjacents, des haltes fréquentes pour apaiser la soif, gagner sur l’obstacle, achever l’histoire, des murs dans les prolongements d’autres murs, une idée fixe répandue sur le sol d’où monte la poussière – jamais la lumière n’est franche dans ce halo noir – où les murs sont encore droits, plus hauts, des réceptacles pour s’endormir, dormir plus qu’il ne faut pour attendre la grande intervention du soir, dans ces abris meurtris de l’homme, mais il n’y a plus d’abri, de l’espace autour de soi, délavé jusqu’au blanc du ciel, des aigreurs en soi parce que l’horloge tourne à vide dans les vides entrelacés des heures attendues, des agencement hétéroclites de bâches et d’étais, de poutres et d’étals, des corridors d’ombre, des rêves jamais entiers, jamais finis et si peu d’étoiles et si peu de vent, des hommes constamment en marche et à la tâche, des regards déjà vides, des mains automatiques, un fil, un seul, jusqu’à la mort, si court tenu, et la rue est interminable où la lumière tombe en droit-fil du ciel.

Rédigé le 30/07/2022 dans Aparté, Key West, Lettres | Lien permanent

VOYAGE

Les bateaux sont les seuls voyageurs, ils caressent et ils aiment. Ils meurent. Les nœuds défaits du plaisir nous trompent. A la ligne du soleil, où les oiseaux ne se posent plus, scintilleurs infatigables, il ne reste rien, ni ombre, ni lumière. La mer n’a cure de la mémoire, elle a donné ce cœur et ce désir et nous avons admis leur légèreté, nous n’attendions aucun secours.


Instant défait, la nuit seulement, dans les mots, la nuit à la dérive. Instant parfait, nulle part où penser, nulle part où rêver. C’est déjà le silence. C’est enfin le silence et l’escalier noir tourne et craque, disparaît dans l’ombre, vers le bas, vers le haut, l’escalier dévalé vers la terre terrible, branle sur le vide, ailleurs à la croisée des arches, il est sans limite connue. Nous sommes accoudés au parapet du ciel. Nous avons tout arpenté. Nos terres étrangères deviennent communes, nos signes habituels, notre vie familière. Encore la nuit, encore le silence.

Rédigé le 30/07/2022 dans Aparté, Key West, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)

CIRCONSTANCES NATURELLES

Cette part irréductible en nous d'un ciel nu qui n'aurait sa place que parce qu'il occupe notre mémoire, cette mémoire des faits et des êtres qui s'efface en bloc laissant un vide bleu, trop grand pour le saisir tout entier, trop haut même pour juste le toucher, des pans entiers qui disparaissent précipités vers le bas dont nous ne garderons rien, cette part gagne sur nous-mêmes, de réminiscence en négligence, d'arrière-goût en abandon.

Nous cédons trop facilement nos confidences contre un peu de silence. Forcément nous y perdons au change. Nous inventons des principes de précaution qui nous barrent la route, littéralement. Nous tombons dans nos pièges et la vie est une ligne droite brisée, la vie prise à contre-courant, devenue trop familière jusque dans nos imprudences. C'est un leurre ce ciel, une défaite qui s'ajoute à nos déroutes, une histoire mal finie. Une part de vide.

Une part en nous qui serait une induline inépuisable, profonde et bleu-noir sur ses rives, qui nous dirait les instants du bonheur et du malheur, qui serait le seul chemin, qui serait le début et la toute fin de nos sentiments. Mais quel bonheur ? Mais quel malheur ? Quel petit malheur justifierait ainsi la rémission de nos peines, l'indulgence ou l'oubli ? Mais quel bonheur qui nous lancerait en avant et ferait oublier que le vide s'emplit de nos rêves morts ?

Rédigé le 27/07/2022 dans Aparté, le jardin | Lien permanent | Commentaires (0)

LE DERNIER ROMAN - NOUVELLE VERSION

Mes voyages m'ont appris à écrire et m'ont apporté ce sentiment nomade qui traverse mes livres. Les attaches naturelles des uns et des autres aux histoires qui les portent ne sont pas suffisamment marquées pour en connaître l'origine ou le motif littéraire. Je ne départage pas ces attaches, je nomadise en elles. Je n'emprunte à personne et je me perds dans les détours de mes regards posés sur le monde, le monde autour de moi qui n'a d'autre signification qu'un décor toujours improbable mais toujours là, selon les circonstances. Je m'arrime à mes regards perdus dans un vide et un silence, où ce que j'écris peut enfin apparaître, émerger des vrais voyages et des fausses confidences, et me donne à suivre les trajectoires mentales qui me ramènent vers eux et elles, emplis d'odeurs, de bruits, de cris et de couleurs que je saisis après coup, longtemps, bien longtemps après.

Le dernier roman est paru initialement en 2012. 

Nouvelle version disponible chez TheBookEdition

Couvdefroman

Rédigé le 20/07/2022 dans Parution | Lien permanent

TM - IMPROVISATIONS EN NOIR & BLANC

L’improvisation est l’action de créer, de réaliser subitement quelque chose. On compose et on exprime dans le même mouvement. C’est un acte d’instantanéité et de simultanéité. Il n’y a pas vraiment de préparation ou alors elle se réalise en grande hâte et au pied levé. Et souvent, tout est créé au dernier moment, avec peu de gestes ou des pensées à peine audibles. C’est après que les visions s’organisent comme si elles étaient là de longue date. C’est le motif de la révélation et de la surprise.

        TM - Improvisations en noir & blanc
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TMnb - couv

 

Rédigé le 14/07/2022 dans L'atelier, Parution | Lien permanent | Commentaires (0)

LA MORTE AUX CHARMES

La morte aux charmes - Epilogue est mon dernier livre. J'ai parcouru un chemin sans cesse repris et arpenté sur lequel j'ai débusqué maints tenants et aboutissants de mon travail d'écrivain. Les voyages, les rencontres, les paysages et les parfums, les couleurs, les ombres et les souffles de la terre et du ciel mêlés, les mouvements répétés du monde hors de soi et en soi, la tranquillité d'esprit une fois arrivé à destination et le silencieux désir de repartir, voilà ce qu'il faut retenir du détourage des sentiments que m'ont permis - et offert - toutes ces visions arrivées au bon moment de ma vie. J'ai écrit, j'ai partagé.

Aujourd'hui, j'arrête d'écrire.

La_morte_couv_2Chez TheBookEdition

Rédigé le 15/06/2022 dans Images volées, L'atelier, Parution, Renoir | Lien permanent | Commentaires (0)

MONUMENT VALLEY - SAISON 12

Les collages sont des portraits imbriqués, paysages et matières sur paysages et matières, ordonnancement précis de successions labyrinthiques qui sont amassées autour d'un point focal. Ils ne sont plus la réalité, ils sont le réel déversé des images. Un oiseau s'échappe. Un oiseau s'échappera toujours pour contraindre la fiction à rejoindre le réel.

Monument Valley - Saison 12, Ce que j'en sais (HC, 2018-2022)
        Version en ligneMV12 - couv

Rédigé le 12/06/2022 dans Images volées, L'atelier, Parution | Lien permanent

VOYAGEURS

L'avenir est décidément une défaite. Nous ne serons pas les perdants, juste des oubliés. Apprendrons-nous à devenir ? En toute fin, les déserts sont des paysages neutres et blancs, presque légers. Tout échappe au mystère et les secrets tombent les uns après les autres jusqu'à la naissance de nouvelles visions. L'univers bascule de toutes parts, minuscule jusqu'à sa disparition dans notre regard, nos mains et nos silences. Quels sont nos héritages ? A la blessure ouverte du ciel, il reste une nuit majestueuse. Tel est le premier legs reçu en partage, la première douleur, la première larme.

Nous sommes devenus des voyageurs et, dans les ruines d'Avdat (עבדת), nous avons appris à bousculer les arrangements et les heurts subreptices de la terre et du ciel. Ce fut le second legs, la droiture et l'orage à la même enseigne de nos sentiments, de notre vision des sentiments. Il n'y a rien de particulier dans nos dérives, rien d'inattendu, aucune émotion singulière, des émotions simplement nues, et des éclats et des fracas oui, des nitescences oui, arrachées du vide et lancées en nous-mêmes pour agir encore, se décupler, se déchirer dans les mouvements du monde.

(In La morte aux charmes)

Rédigé le 04/06/2022 dans Aparté, L'atelier | Lien permanent | Commentaires (0)

LE PREMIER PAYSAGE

Tu es si présente que les mots ne viennent plus pour l'écrire. J'éprouve le début d'une disparition de l'entour dans la réminiscence de faux rêves. Entre le réel et les apparences, le fil est rompu et la logique de l'apparition des sentiments, des revers et des regrets est perdue. Tout s'enchaîne à une allure folle. Tout s'effile le long d'une lumière blessée. Je sais créer des équilibres et des trajets parfaitement courbes sur les lignes droites de nos voyages. Parfois je perds la vue ou les visions sont trop larges pour être décrites. Elles sont justes majestueusement offertes.

(in La Morte aux charmes - à venir)

Rédigé le 14/05/2022 dans L'atelier, le jardin | Lien permanent | Commentaires (0)

MONUMENT VALLEY

Couv

Monument Valley est un souvenir d’enfance, un voyage, une relation particulière au pop art, l'attachement à un film de Wim Wenders, une tentative littéralement littéraire. 

Je n’ai jamais peint, tout au plus quelques dessins à l’encre de chine il y a très longtemps, l’attrait pour les trames d’architecte, le recours au rOtring et à la règle, le sur-lignement et l’espace blanc, très peu de bleu à cette époque, surtout du rouge, du gris, du noir, de bons ciseaux et de la colle, quelques collages à partir d’images de bandes dessinées, du papier journal et l’utilisation du trichloréthylène à la recherche de superpositions et de transparences, surtout des visages sur des pages manuscrites. Autant dire rien qui me destine à une activité picturale.

Cette enfance fut un patchwork, une suite d’instants et de sensations, sur le coup et, a posteriori, toujours reconstruite.

J’ai juste un souci d’équilibre et de composition.

J’avance sans théorie seulement par coups de coeur et parce que j’ai besoin de voir des tableaux, accrochés au mur, dans les livres, sur la toile, je ne me lasse pas d’engranger des images (bien sûr ce ne sont pas que des images !). Est-ce la peinture qui m’attire ou plutôt la composition avec son étourdissement émotionnel qui s’y cache, que je ressens, qui m'avale ? 

Dans Monument Valley, je compose.

Chaque élément des compositions me rattache à une vision et au moment particulier de cette vision. Je compose des tableaux comme j’écris les suites de mes livres : en les détourant, en les retournant et en les recomposant jusqu’à trouver la correspondance entre ma pensée et le “tableau”.

Où il est question d’un voyage.

Ce voyage, c’est justement à Monument Valley où je rapproche l’espace pictural du pop art des grands espaces américains, où les intentions graphiques des peintres américains des années 50-70 intègrent cet espace naturel qui hésite parfois et s'élève pourtant entre terre et ciel. D’où aussi cet attachement aux perspectives, qu’elles soient ouvertes ou intimes, toujours majestueuses, qu’une composition, scripturale ou picturale, me permet de tracer.

Je ne fais pas de différence entre une suite et un tableau.

Réel et fiction s’entrelacent, réalité des sentiments et espace fictionnel qui permettent leur exploration. Les partitions se suivent qui ré-agencent les émotions. Quant à la fascination, l'oreille a la musique. L'œil a la peinture. La mort a le passé. L'amour a le corps nu de l'autre. La littérature la langue individuelle réduite au silence, écrit Pascal Quignard.  L’essentiel est de recommencer. Les compositions de Monument Valley portent la marque de ce silence qui vitupère. On n’a jamais fini d’écrire, ni de composer.

I knew these people... dit Travis.

Paris, Texas me semble être le seul hommage cinématographique rendu au pop art. Cette ambition de recommencer, de recoller les morceaux, de ré-agréer le passé à l’avenir, de jointoyer ce qui restait séparé, tout y est. J’emprunte ce chemin chaque fois que j’écris ou que je compose. Il s’agit de ne pas laisser l'occasion ou la chance de se retrouver et de poursuivre une conversation qui semblait rompue.

Karachi, 25-29 juin 2014

Monument Valley - Saison 2, 3 & 4 / 2013-2017, Les triptyques (HC, 2022)
    Version en ligne

et aussi :

Monument Valley - Saison 12, Ce que j'en sais (HC, 2018-2022)
    Version en ligne

Monument Valley - Saison 11, La charge de la preuve (HC, 2022)
    Version en ligne

Monument Valley - Saison 10, Mouvement de bascule (2021)
    Version papier
    Version en ligne

Monument Valley - Saison 9, Objets mouvants (2020)
    Version papier
    Version en ligne

Monument Valley - Saison 5, 6, 7 & 8 (2019)
    Version papier
    Version en ligne

Rédigé le 22/04/2022 dans Karachi, L'atelier, Parution | Lien permanent | Commentaires (0)

LOVE LIFE

 

Nicolas de Staël écrit :

Ce n’est pas vrai, nous ne courons pas toute la vie vers ce et ceux que nous aimons : l’imagination seule fait tous ces voyages. D’ailleurs totalement interminables et elle ne trouve rien que des fantômes d’aspérités ou de charmes dont elle nourrit tout ce qu’elle touche de la plus lustrale sensibilité jusqu’à la plus absurde convention, c’est d’autant plus vrai que face à face, bien en vie, tout est à reconsidérer, à refaire, à recommencer, alors que le labyrinthe sensationnel nous avait amenés jusqu’au point quasi tactile des choses, immuable.

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Love Life, version en ligne (hors commerce)

Rédigé le 22/04/2022 dans L'atelier, Parution | Lien permanent | Commentaires (0)

LA MORTE AUX CHARMES (EXTRAIT)


C'est un sombre pays où tu es allée, sombre, bas et triste. Sous un ciel insoutenable, délabré, qui coule en rivières noires.
N'entrons pas dans les rêves qui nous ont repoussés. Ne soyons plus dupes. Les vérités finissent par circuler à rebours de notre raison.
Et au bout de ces mensonges, qu'avons nous retenu ?
Toutes les maisons, toutes les chambres où nous entrons sont vides comme toutes les naissances. Au-dessus, tout est vide.
Un souffle froid a basculé nos paroles, soulevé nos sentiments, désarrimé notre intimité.
Tout est friable, si près d'une infidélité ou d'une résignation. 
Enfermés dans notre négligence, les promesses s'effondrent.
Le désir n'est jamais une récompense.  

Rédigé le 15/04/2022 dans Aparté, L'atelier | Lien permanent | Commentaires (0)

MARTEL EN TÊTE

 

Martel

(Du fond d'une vieille valise)

Rédigé le 11/04/2022 dans Aparté, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)

SUR LE PAPIER...


Depuis le temps...
Et encore, et encore....

Le mental

Rédigé le 10/04/2022 dans Aparté, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)

MOUVEMENT DE BASCULE


Les mots sont adroits à nous renverser. Ils ont, comme les images, des mouvements de bascule que nous tentons de suivre, parfois sans succès. Nous leur devons un équilibre précaire dans notre appréhension mentale du monde. Et nous tombons sur des apparences. Des apparences toujours sujettes à caution. C'est le propre des apparences d'être le reflet enflammé ou le miroir troublé de la réalité.

Nous y allons pourtant tête baissée en faisant semblant de ne rien voir des leurres qu'on nous lance au visage, qui seront nos balançoires pour éviter le néant. Ou oublier le néant. Les mots prennent le devant, nous submergent, nous retournent. Avons-nous la patience, encore et encore, de les disjoindre pour les réunir, puis de les disjoindre pour les réunir, ainsi de suite ?

Où sommes-nous d'eux-mêmes ? Nous avançons à l'intérieur de triptyques toujours ouverts, aux abondances inimaginables. Et notre cœur ne ressemble à rien, lui, sans nom. Ils sont plus tentants que les images, même déconstruits et reconstruits. Assemblages d'instantanés et d'infinis, les mots dessinent mieux les aventures mentales que les images. Elles, elles ont la fixité de ce qui va mourir. Eux, ils ont les mouvements du monde à portée.

Mais on ne se lasse pas de la vision des images. On construit des regards, des élévations de l'œil et des phrases détourées de leurs couleurs. Assemblages collages et diversions. Mettre les mots à leur place dans les méandres et les labyrinthes noirs et blancs des images. Confrontations
et diversions. Les rives extrêmes sont mitoyennes et nous jouons de leur éloignement ou de leur rapprochement.

Confrontations et diversions. Comment trouve-t-on les bonnes images ? Où sont les rudiments, les brouillons ? Et comment les mots s'en mêlent ? La fragmentation des idées soulève des mots et des vides. Des espaces infranchissables. En quoi l'absence d'un mot modifie les images, en modifie leur traduction visuelle ?

Tout est puzzle, histoire en cours de dissolution et, morceau par morceau, les évènements sont extirpés, déplacés, en quête d'un nouvel agencement. Il n'y a pas de clé pour cela. Pas de déchiffrement possible. On sait bien comment les choses nous retiennent et les oppositions sont sans partage dans l'abandon des relations. Sans solution. Nous sommes aveuglés de fausses perspectives. Seules les ombres racontent et nous rassurent, des ombres noires dépourvues de sens, seulement des ombres qui nidifient en nous.

Assujettir pourtant et assembler. Ou désunir et départager. Désorienter les angles, relever et élever, toujours élever. Ainsi l'histoire peut arriver à son terme. Au bout de l'image comme au bout de la route, les voyages finissent sur des vagues intemporelles. Voilà bien des destinations habituelles. Des destinations qui remontent de notre mémoire, la plus ancestrale. Elle laisse apparaître toutes les strates calcifiées de nos déplacements et de nos doutes. L'image se construit d'un passé encore tout enfoui, invisible mais dont les lignes de fuite affleurent et qui, mises bout à bout, s'enflamment.

Fin de l'histoire, dit-on. Fin de l'illusion et des apartés du regard, des moments intraduisibles qui reviennent à la surface. Pourtant, qui oserait arrêter le voyage ? Ou effacer le tableau d'images ? Tout est dans la rédemption qui ouvre les frontières et libère l'ombre, l'ombre vivante démultipliée, entrelacée d'autres ombres. Le jeu est d'imaginer ce qui bascule de toute la force du plein et des vides qui se heurtent.

Les frontières sont au bout des déserts et se referment. Elles sont indéfinies et partagent encore leurs assemblages. Elles nous accueillent et nous forçons le barrage des vents et des chimères. Avant, il y avait des sorciers, des fées, des anges, parfois des magiciennes. Tous ont disparu, toutes se sont volatilisées et nous restons seuls avec nos fantasmes d'images découpées, déroulantes jusqu'au prochain retournement. Les apparences nous éloignent de notre chemin et nous rendent aveugles. Toutes les perspectives perdent leurs résonances. Il n'y a plus d'évènements, ni de raison de les penser encore possibles. Alors feindre les évènements.

Tout est dans l'organisation des évènements, le moment où la bascule joue son rôle de compréhension et d'illumination. Les images ont cette faculté, une fois prises dans l'architecture tectonique des corps, des objets et de l'espace, de devenir les mots qui percutent et brûlent les visions. Des mots qui s'ajoutent aux visions, des mots répercutants. Le sens, la direction, les destinations sont à ce prix de franchir le handicap. Et nous le franchissons à chaque instant en mouvement avec le monde.

Nous regardons avec des yeux d'enfant, nous voyons avec des yeux d'adulte. Ce qui se passe entre les deux nous échappe. Il y a des couloirs, des coursives et des rues, tant d'apparences de chemin vers la lumière qui prennent le dessus sur nos visions, qui nous couvrent et nous déroutent. Les couleurs tombent, le silence tombe, les corps et les lumières, tous les feux aperçus tombent. L'image dévoile des instants improbables que nous n'avions pas envisagés. Les pièges se rassemblent dans les images et nous renonçons trop facilement à les éviter. L'œil meurt.

Avec les images tout semble à portée de main - devant - et comme avec les mots nous fabriquons de l'incertitude et du désarroi - des fuites magistrales.

Disparates sont les éléments, disparate est l'histoire. Les images sont des parcelles de mouvement, des identités entr'aperçues et bousculées, des vérités lentement rehaussées d'extravagances, des mensonges ou des bouts de regret arrachés de l'oubli. Nous en sommes les simples témoins. Ce n'est même pas une question de vouloir, ni d'un stratagème d'acquisition. Les images et leur signification sont indépendantes de nos visions. Elles assemblent d'autres réalités qui prennent forme lentement, à la mesure de la compréhension de notre propre réalité.

Commencement, dépassement, des allers et des retours dans des villes imaginaires, des rues qui s'élèvent dans notre cerveau, tout est une question d'histoire et des petits morceaux d'existence que nous y mettons. Ce sont des objets manipulables par l'œil qui les amassent, les combinent et les lient. Tout tient dans le fil qui attache ce qui fuit et sera séparé. Chacun et chacune ont leur avenir.

Tout agencement est une résurrection, un retour à l'origine de l'élévation d'un équilibre, l'assomption d'une nouvelle vision - au risque ou au plaisir de la réalité. Cette réalité est dans l'image, retenue, capturée et prisonnière. Elle démonte et se démonte, elle remonte et se remonte. La mécanique des ombres qui l'envahissent révèle les perspectives possibles de la fuite. Elles ne sont pas toujours dans les superpositions ou les transparences, elles fusionnent des espaces de nature différente par adjonction de liens ajustés.

Les ombres dans les images se rejoignent à la verticale de cette élévation unique, on pense qu'elle est indicible.

On engrange dans des ombres qui nous rabattent sur des morceaux de nos vies, des vies qui seraient en trop, survenues dans le hasard des mots qu'on utilise, des vies trop apparentes pour être réelles, qui restent en arrière des vérités. Et les ombres défilent lentement d'une rivière à l'autre, d'une approbation à l'autre.

Il s'agit toujours de mesurer les dimensions absentes, les dimensions du temps. Ces dimensions retirées de notre existence une fois éteinte la colère, une fois réparé le sentiment, toutes les fois dans l'exaltation d'une lumière qui ne révèle rien, qui ne franchit rien et ne nous donne rien. Nous avons appris à marcher ensemble sans vraiment regarder autour. C'est tout. Et le fil qui tient les histoires casse à mesure qu'on avance, petit à petit, suivi d'anciennes connaissances qui nous ignorent. Elles ont oublié et nous les avons écartées de nos visions. Le vide est venu.

C'était sans compter avec les anges, avec la naissance, avec les miroirs, avec toutes sortes d'usages des blancs, des gris et des noirs, des demi-teintes, des tons sur tons, tout l'arsenal des anthracites et des brouillards. Il n'y avait que retours et altercations. Les collages sont les bouts d'une enfance oubliée, remise à plus tard dans les souvenirs, suspendue. On quitte ses parents, on quitte sa fratrie, on réalise trop tard l'assujettissement aux circonstances et on se détache trop tard des rêves qui n'ont rien dit, qui sont restés dans un passé tout articulé à un monde vide en nous.

C'est l'accumulation qui nous détruit même si les lignes sont droites et traversent sans dommage nos pensées. Les lignes droites ne sont pas les meilleurs chemins. Elles signifient l'abandon de la voix, l'abandon du bruissement dans le regard. Un seul battement du monde pour un souffle vivant en nous.

Les lignes droites se croisent et, en se croisant, séparent. Elles sont les bords indépassables des envoûtements et des rétractations, tout ce qui se dépose au fond de la mémoire, qui ne remonte pas. Les assemblages dérivent des émanations immatérielles de la pensée qui tente d'expurger ce lointain inexpugnable. Notre voyage commence par un abandon.

Les apparences ont raison des faits. Nous cédons trop facilement à leur flagrance et nous devenons violents à amasser des silhouettes, des rêves désajustés et des dépouilles d'ombre. On convie le monde à l'abattage perpétuel des apparences mais elles résistent et constituent les archives dans lesquelles nous puisons nos boniments et nos cris.

C'est la nuit à la fenêtre et les fantômes redoublent de gestes désordonnés et s'abîment dans des mouvements vulgaires. On s'astreint à penser les effacer, on les ralentit seulement. Et vient la fausse magie des rapprochements, la lumière avec l'ombre, la lumière dans l'ombre. Ce n'est qu'un tombeau ouvert sur des étoiles factices. Il n'y a rien dans cette histoire qu'un assemblage muet. La douleur est peu ou pas visible mais elle est à demeure. A genoux. C'est dans la nature du rêve d'organiser la douleur ou d'en faire un sentiment.

Même construction, même désir de nidifier sur les verticales qui s'étirent et finiront par se rompre, deviennent ainsi les conditions du silence. Compter sans le temps, lui dénier une place. Tout est figé et tout et prêt à différer l'isolement. Déambuler à nouveau sur les places border-line de la mémoire.
Être face à face et jouer la perfection des équilibres. Oui jouer car dans le détail la passion - le geste magistral de la passion à élever la réalité à l'intangible - la passion falsifie et dénature ce qui a été réuni. Les images seraient-elles fausses puisque rapprochées ? Les images seraient-elle altérées par un sens qui leur échappe ?

Il y a des personnages placés sur le rebord d'une vision, qui entrent dans le champ à proportion de leur absence. Ils sont les allégories d'une réalité cachée et qui se tait. Ils reviennent du plus long des voyages, du plus profond des rêves, étrangers à eux-mêmes, les plus ponctuels des indifférents. Leur insolence est accessoire et leur silence un équilibre ordinaire. L'image est ainsi, elle rapproche ce qui tentait de se disjoindre.

Et la nuit vient sur la rivière réveiller les ombres. L'envol des oiseaux est suspendu et les orées sont noires. Les feux clairs sont tombés des cimaises, surgissent spontanément comme des immensités souterraines du ciel. Au devant des magies du jour, au devant des instants du jour qui s'agglomèrent dans le fond des images, quelle est notre résistance ? Quelle est notre vision ? Ce qui revient des perspectives oubliées ou détruites, ce qui revient en nous, apparaît.

Quelle sont les obligations de la représentation ? Quelles sont les contraintes du désir de montrer ou d'organiser l'indicible ? Tout est dans les imperfections du silence qui entourent les ombres. Tout est dans ce silence soulevé par la terre. Les ombres se disséminent au bout de la vision, ramenées à des respirations, des souffles à peine possibles, à peine assemblés. Tout est espace où le souffle s'oppose aux vérités apparentes. Tout est oubli dans l'image où les apparitions du réel s'effilent à mesure des rêves.

La suite est toujours pour plus tard. Dessiner les reliefs et les débarcadères, soutenir les élévations fragiles, déplacer les figures, regrouper les animaux, dépecer les lignes inutiles et éparpiller les restes. Les assemblages sont des occasions de procès et d'adjudication. Prendra qui pourra, comprendra qui veut. Partager une vision n'est pas sans risque. Les musées regorgent de prisonniers et d'assassins qui pensent à leur dernière promenade ou à leur dernier crime. Ils nous assurent qu'une rédemption est toujours à perfectionner. La valeur du regard est dans le bandeau qui couvre les yeux, épais, opaque, noir de jais éblouissant. Il faut de la stupeur pour comprendre. Autant de renversements du réel que de gestes pour révéler l'envers des histoires.

Les images sont labyrinthiques, faites d'imbrications et de superpositions ou de surélévations momentanées, qui se répètent ou se perdent, qui imitent nos empreintes et simulent les convulsions de nos appréhensions. Les fragments ressemblent à des flammes qui se rapprochent mais qui s'évitent, qui se cassent et s'effritent en esquilles bleues. On les imagine bleues.

Le bleu justement, on en manque toujours. On sait qu'il disparaît la nuit mais il est quelque part, dans un regard, dans un bout de ciel au dessus des mondes, dans une caresse devenue diaphane. Il faut penser le bleu comme une matière vivante. Même dans les plus sombres images qui nidifient la nuit en nous. Il y aura toujours une fenêtre sur les galeries tonales du bleu du ciel et de sa réverbération sur la mer. L'une ne va pas sans l'autre, l'une n'existerait pas sans l'autre. Et au-delà du bleu, tout est noir.

Les collages sont des portraits imbriqués, paysages et matières sur paysages et matières, ordonnancement précis de successions labyrinthiques qui sont amassées autour d'un point focal. Ils ne sont plus la réalité, ils sont le réel déversé des images. Un oiseau s'échappe. Un oiseau s'échappera toujours pour contraindre la fiction à rejoindre le réel.

C'est à l'intérieur des assemblages que l'on trouve les contraintes des juxtapositions et des détourages, les contournements ou les détournements du sens premier des éléments. Tout devient possible sans possibilité de dévier l'organisation initiale, juste par d'infimes déplacements qui re-dessinent les perspectives que l'on pensait cachées. Le bleu et le noir sont de cette nature, d'être les espaces indicibles de la composition de l'univers. De l'univers pictural aussi.

Tout est cortège, suite d'éléments assujettis les uns aux autres dans une pensée ou une vision des retournements. Elles sont les deux faces d'un désir qui s'assemble, apparaît, se construit, devient possible et visible. La bascule des contingences est permanente. Toutes les images contribuent à cet amoncellement de côtoiements et de transparences, modèlent des mondes dont le seuil est unique, une simulation d'apparences qui sont les futurs paysages des rêves qu'elles contiennent mais que nous n'avions pas vus.

Tout est cortège et les coursives empruntées ne nous ramèneront jamais au point de départ. Il faudra les détourer et les rabattre sur des terrasses plus profondes et parcourir encore les terres étagées d'une mémoire qui égrène sa disparition. Ainsi vont les images, des histoires qui ne sont jamais finies ou jamais construites, laissées en jachère. Il faut les prendre pour ce qu'elles sont : des morceaux d'improvisation.

Alors le réel sera réel et toute fiction mise de côté. C'est l'avantage des constructions picturales des collages. Ils prêtent à interprétation et le réel est de cette nature. On y verra des débuts et des achèvements, des envols, des horizons et des frontières, des séparations et des réconciliations, et la trame de la partition sera encore la même.

Alors on reviendra aux mots, on s'installera dans les bascules scripturales des mots entre eux, dans l'errance mentale qui abolit le risque de se tromper de parcours, peu importe la destination, tout point éloigné est à prendre, toute perspective à suivre en charpentant la pensée qui devient matérielle, encre, pleins, déliés, minuscules, majuscules, ponctuation, ordonnées et abscisses d'une terre de signes, d'appels et de promesses, espace des silences, jointoiement des respirations.

On dépassera les apparences. Elles deviendront les chimères que nous attendions, un soudain caprice dans nos illusions, une brèche propice au détour et à la halte. Et sous la seule étoile qui restera, qui repousse encore les assauts des machinistes des images, on finira foudroyé dans le cosmos silencieux de nos pensées.

Hauteville-sur-Mer, 2020-2021

Mouvement de Bascule accompagne les collages de Monument Valley, Saison 10
(Version papier - Version en ligne)

 

Rédigé le 07/04/2022 dans L'atelier | Lien permanent | Commentaires (0)

LA CHARGE DE LA PREUVE

 

René Char écrit :

Un grand ciel se lève devant moi.
Les images sont des fantômes agissants, en décalage. Tu es comme une ombre qui tombe du soleil. Nos orages nous sont essentiels. Dans l'ordre des douleurs la société n'est pas fatalement fautive, malgré ses étroites places, ses murs, leur écroulement et leur restauration alternés. On ne peut se mesurer avec l'image qu'autrui se fait de nous, l'analogie bientôt se perdrait.

716 V0 - couv

Version en ligne de Monument Valley - Saison 11

Rédigé le 07/04/2022 dans L'atelier, Parution | Lien permanent

COLLAGES ET DESSINS

En édition numérique, version papier sur TheBookEdition (à commander, payants, s'ils sont toujours disponibles) ou la version en ligne (gratuite, si elle existe) à lire sur Calameo.

            TM - Improvisations en noir & blanc (Collages, 2022, hors commerce)
                Version en ligne

            Monument Valley - Saison 12, Ce que j'en sais / 2018-2022 (hors commerce)
                Version en ligne

            Monument Valley - Saison 2, 3 & 4 / 2013-2017, Les triptyques (hors commerce)
                Version en ligne

            Monument Valley - Saison 11, La charge de la preuve (Collages, 2022, hors commerce)
                Version en ligne

Love Life (Collages, 2022, hors commerce)
    Version en ligne

Monument Valley - Saison 10, Mouvement de bascule (Collages, 2021)
    Version papier
    Version en ligne

Monument Valley - Saison 9, Objets mouvants (Collages, 2020)
    Version papier
    Version en ligne

Monument Valley - Saison 5, 6, 7 & 8 (Collages, 2019)
    Version papier
    Version en ligne

Monument Valley, les premières saisons (2014)
    Version papier

Quelques apparences verticales 1 (2021)
    Version papier
    Version en ligne

Quelques apparences verticales 2 (2021)
    Version papier
    Version en ligne

Les tropiques bleus (2020)
    Version papier
    Version en ligne

Le silence About you (2020)
    Version papier
    Version en ligne

Croquis instinctuels (Croquis et dessins, 2019-2020)
    Version papier
    Version en ligne

Toucher la terre (Collages, dessins & écriture, 2021)
    Version papier

Assemblages (Collages & écritures, 2020)
    Version papier
    Version en ligne

Bonne visite... Bon voyage...

Rédigé le 30/03/2022 dans L'atelier, Parution | Lien permanent | Commentaires (0)

LIVRES

J'ai opté pour l'édition numérique depuis longtemps (depuis que ça existe, quoi !).

Format papier chez TheBookEdition  (à commander, payants, s'ils sont toujours disponibles) ou la même version à lire en ligne (gratuite, si elle existe) sur Calameo.
Voir aussi les collages et les dessins

            I95 ou la mémoire d'une nuit (2023)
                Version papier

            L'idée du monde précédé de Bess (2023)
                Version papier

            Figuration de l'absent (2022)
                Version papier

            La morte aux charmes (2022)
                Version papier

            Avant de tomber, poèmes 2013-2021
                Version papier

            Digressions du réel (2022)
                Version papier
                        avec
                        Livre 1 - Le jardin capital (2015) suivi de La réalité apparente du feu (2019)
                        Livre 2 - Il n'y a rien c'est-à-dire il y a quelque chose de caché (2018)
                        Livre 3 - A minima, récit d'une digression (2019)
                        Livre 4 - Le tiers regard suivi de L'empreinte des ombres (2020)

            De quelques écritures mises bout à bout (2021)
                Version papier
                Version en ligne

            Reprendre la figuration (2020)
                Version papier
                Version en ligne

            Le tiers regard suivi de l'empreinte des ombres (2020)
                Version en ligne

Il n'y a rien c'est-à-dire il y a quelque chose de caché (2018)
    Version en ligne

Le Jardin Capital (2015) suivi de La réalité apparente du feu (2019)
    Version en ligne

A minima, récit d'une digression et trois lettres de Louise (2019)
    Version en ligne

Les dissonances (2017-2019)
    Version papier
    Version en ligne
            avec
            Livre 1 - Entre-deux (2017)
            Livre 2 - Écrire & Écriture (2018)
            Livre 3 - Un parfum hologramme et autres suites (2018)
            Livre 4 - Dimension(s) (2019)

Thomas Moselly, une incidence ou l'invention des livres (2019)
    Version papier
    Version en ligne

KHI ou déposition d'une ville (2016)
    Version papier
    Version en ligne

            Figure out * - Suites américaines (2008-2013)
              Version papier
              Version en ligne

avec
Le mouvement du monde (2008)
À la pointe d’Uzès (2010)
Quelques jours après Albuquerque (2008),
Nous sommes des silencieux (2010)
Flyovers (2011)
Requiem (2011)
Au(x) Demeurant(s) (2012),
À Renoir (2013)
La partition (2013) 

             Figures des sentiments (1998-2012)
              Version papier
              Version en ligne

avec
Grandeur nature des sentiments (2008)
Les adolescences meurent sur les talus (2009- 2010)
Être humain (1998-2005)
Les qualités discrètes (1998-2010)
En dehors des retours (2012)

  Figures de la disparition (1975-2006)
    Version papier
    Version en ligne

           avec
           Quentin (1978)
            Roman (2000-2001)
            Exeat (2002)
            Saisons (1998)
            Voisins des arpents (1975-1977)
            Nous voilà rencontrés, la terre et nous (1978)
            Une maison aiguisée (1980)
            Le droit-fil (1983-1996)
            In fine (196)
            Je ne mourrai pas (1995)
            Ce que tu fais (1996)
            Les sculptures chantent (1997)
            Dans l'atelier (2003)
            La table des étoiles (1998-1999)
            Les royaumes à-demi (2005-2006)
            Frontières (2004-2005)
            Alep (2006)

Bonne lecture...

 

Rédigé le 22/03/2022 dans Parution | Lien permanent | Commentaires (0)

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