A tous les voyages qui sont revenus à la mémoire
Aux indécisions de tout départ
Aux balises le long des rivières et à travers les marais
Au silence, à tous les silences d’une fumée de cigarette
A la fauvette, aux mésanges, aux milans plus haut,
aux grappes mouvementées de leurs froissements d’aile
Au silence une fois repartis
Aux mots de ce silence
Aux artificiers du début du monde
Aux magiciens du silence
Aux nuits à deux heures du matin dans les rues piétonnes de Peshawar
ou les jardins de Delhi
Aux grands aplats bleus du ciel
Au ciel
A la résilience
Aux samedis matin jour de marché, jour de l’humanité
A la pluie diluvienne et toujours là
A la sagesse des nations
Au vide après l’amour
Au vide autour de soi de tous les soirs de fête
Au vide d’entre les mots
Au vide des précipices
Aux grandes bibliothèques
A mes quatre anges gardiens
Aux terrasses d’Uzès la nuit
A Louise revenue
Au détour du chemin et au pas de côté
Aux serments d’un peu trop près
Aux rimes abstraites et désabusées ou défaites ou oubliées
Aux rivières à gros remous qui déversent le vide illuminé autour d’elles
A celles et ceux qui finiront par se mélanger
Aux confesseurs de l’absolu
A la résolution au bout d’un cœur qui tombe
A la parole qui nous révèle et aux mots que nous oublions
Aux attendus de Saint-Eustache
A cette lettre arrivée trop tard
Aux dominos de Little Havana
Au 14ème étage de la mer et du ciel
A l’invention du monde
Aux parfois, aux peut-être, à toujours
Aux mains qui nous retiennent de tomber
A ceux qui nous poussent à tort et à travers et qui rient et qui rient
Aux siècles derrière nous, aux siècles devant nous
A la singularité des galaxies et des jeunes femmes
Aux souvenirs des jeunes gens et aux projets au long cours des vieux
A toutes celles et tous ceux qui ferment les yeux et rougissent et se taisent
A Renoir que je n’oublie pas
Au Pop Art
A Pascal Quignard et Philip Glass traversant l’averse
Au réveil matin oublié dans un motel de Santa Fe
A la bergeronnette et l’alouette
Aux arc-boutants des cathédrales qui tiennent la voûte céleste
Aux hirondelles, toutes les hirondelles passées, présentes et d’avenir
A l’I95 du nord au sud
Aux rêves inassouvis et recommencés
Aux mots qui accompagnent et attachent
Au silence retrouvé une fois dits les sentiments
Aux parfums, à l’ivresse des parfums et des corps endormis
A la mer et ses liserés bleus du ciel
Au ciel entrelacé
Au ciel entrelacé dans les nervures de la lumière
Aux cieux américains de la fin du jour, toujours arrêtés aux feux clignotants,
qui s’élèvent dans la nuit noire des banlieues
A l’Alhambra et la place Gutenberg
A Anke
Aux enfants assassinés d’Alep et d’ailleurs
A tous les enfants assassinés de tous les génocides
A la musique élevée et à la lune qui sommeille
A toute la musique de l’arrière-fond des cours du monde
A l’horizon en filigrane de tous les bouleversements et de tous les départs
A toutes les rives, ponts et passerelles pour atteindre Key West
Aux rêves de l’histoire, à ses désillusions, à ses impasses
Aux rives du Gange à Chandernagor
Au(x) Demeurant(s) qui s’attardent en moi, qui se séparent, fuient,
regorgent de départs et de voyages
Aux routes des Everglades qui s’embrasent de poussière midi venu
A celles et ceux qui n’attendent pas, qui sautent à pieds joints dans les flaques éternelles
A l’Interstate défilante en pleine nuit
Aux couleurs rehaussées du vent d’écume de la mer
A la grande fragmentation de la mémoire qui laisse voir au travers des jointoiements détruits
A la patience que tu mets à m’écouter
Au respect des formes
A Renoir toujours
A Natch qui lui ressemble
A la désintégration des habitudes, des redites et des histoires trop longues
A l’imperfection naturelle et imperceptible des mondes anciens
Aux feux entremêlés, aux feux évanescents, spirituels, aux feux des jours nouveaux
dans les diversions du temps qui passe
Au temps qui dessille et franchit le reste de souffle qui s’étire dans le ciel
A la nuit tout à coup, délivrée in-fragmentée tout là-haut
A la lumière incidente sur les bords du monde dans les traverses où les amants s’attardent
et des enfants et des loups
Aux décisions auxquelles on n’échappe pas
Aux bateaux qui accostent et repartiront
Aux marins rêveurs, aux rêves des aviateurs
Aux espaces dessinés de la nature et des hommes
Aux femmes oubliées qui les accompagnent
Aux Demeurantes
Aux ombres qui les précèdent et les ancrent à la terre
Dans la maison ouverte sur la mer, il y a encore leurs parfums, mélange de sel et d’ambre
A l’évagation sans relâche loin des vanités
A l’entrelacement des obsessions, des désirs désunis, des rires du plaisir
Aux îles bousculées par les fonds remontants des océans
Aux îles abordées devenues des nuages
Aux mille ponts pour atteindre Key West franchissant les amonts des vagues et l’aval du ciel
Aux élévations du regard qui rendent possible le désir et l’ivresse
Aux linéaments de l’iris qui donnent la couleur
A la permanence des mystères, des yeux et des visions, des visions partielles ou complètes
et l’eau qui roule et les interminables caravanes dans les déserts de feu.
Où est le chemin ?
A la larme qui roule sur la joue.
Où est le chant ?
Où est le vol des flamands ?
Où sont leurs tiraillements entre terre et ciel ?
Aux portraits vivants des êtres
A la vérité d’un sourire et le silence revenu, serein, qui était entre nous
Au seuil bleu de la réalité qui va naître et s’écrire
Au détouré noir des yeux des fées et des sorcières
A la grande avenue vide pour le Grand Pardon
Aux vaches et chèvres de l’Eid à Karachi et quelques chameaux
Aux espaces démembrés des aplats lumineux de Monument Valley
Aux choix des circonstances
A l’envie délibérée de ne pas se taire même si les mots venaient à se perdre et manquer
Aux circonstances et aux retours
Aux retours à l’heure.
In Les Dissonances, Livre 4 Dimension(s)
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