Il y a des bouts d’écriture qui me ressemblent, au bord d’une table ou au bord de la route, au bord d’un grand vertige qui prend de la hauteur, devient toute la hauteur des mots, de l’écriture et du texte, une écriture semblable à l’illusion que les bords du monde sont tangibles et constants, que ces bords du monde tiennent tous les commencements comme toutes les fins, soigneusement alignés le long des fils des rencontres et des histoires. Des bords de bouts d’écriture qui réverbèrent la route, l’impatience et les larmes. Il faut imaginer un bord comme une chute, une entaille dans le rocher vivant de l’esprit. Puis on saute et on s’étoile dans les vents demeurants.
Souvent j’écris à l’arraché dans le branle-bas du silence exorbité de ma vie, tout déhanché des sauts magiques des mots et de leur rapprochement. Imaginez ! Au bord du précipice du bout du monde à désordonner les rêves et les illusions, adossé au vent ou à un bout de rocher adroitement posé là, léger jusque dans la peur de perdre le fil qui me mènera à la fin de ce texte. Je m’attelle à parfaire les bordures de mes suites, j’apprends des sentiments que je fixe et je regarde tout près de moi, jamais au loin car j’étreins mal le fond de l’histoire et j’apprécie mieux ce qui bouge, vivote et grandit à portée de la main, au bout d’un regard qui s’attarde dans la chaleur revenue du soleil. Je recule pour agrandir mon champ de vision et ce sont dans les bouts du monde que cet exercice prend tout son sens, au bord de la rupture qui monte.
La limite est dans le vivant, elle scinde les parts associées du vivant de manière aléatoire. Ce qui est dissocié meurt. L’écriture est dans la même veine, cette recherche de l’unité improbable, qui capitalise toutes les tentatives et tous les efforts de rester sur la ligne droite. Qui a dit qu’il y a une ligne droite ? Qui peut penser ainsi ? L’écriture et le vivant sont tortueux, avancent en boucles et en détours / avances / retours, d’avant en arrière, de haut en bas selon toutes les lignes de fuite possibles. Ils prospèrent dans la vacuité bienfaitrice des perspectives.
Maintenant le ciel voile sa transparence, la fin du jour devient blanche, on dit : la roue tourne.
Je reviens toujours chez moi
Je retourne toujours auprès de mon père.
Novalis
In Les Dissonances, Livre 1 Entre-deux
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