A CONTRE-COURANT

A contre-courant des sentiments distendus, pour ne faire qu’un, à contre-courant sur le fil de l’eau coupé en deux, à la croisée de tous les rêves ;

A contre-courant des fausses certitudes qui embarrassent le cœur, de l’idée fixe, du martel en tête, de cette pointe de doute fichée en travers de la pensée ;

A contre-courant, dans le flot du feu qui ronge, dans le flux des sentiments détournés, mais rien, mais qui mouraient, à contre-courant du ressentiment, en part doublée ;

A contre-courant des rencontres attendues au carrefour des rues encombrées, à rebours de la foule et il n’est jamais assez tard pour attendre encore, chercher en vain sa revanche ;

A contre-courant sur le point tranchant des sensations si le ciel fait merveille dans son incendie ébranlé jusqu’à la stupeur ;

A contre-courant des revers du cœur qui s’effile dans le corps, sous la peau, à toutes les terminaisons sensibles, qui feint de se calmer, qui double ses nœuds, libère ses pointes acides, qui regarderait ainsi, qui se déterminerait à rendre les armes, blessé ;

A contre-courant de l’émotion destinée à rompre et à mourir dans les flaques bleues de Wynwood, qui resterait collée aux murs peints de la 2^nd Avenue, où elle résiste, où elle renâcle, où s’obstine un souffle chaud et suant en cavale qui serait le signe des premiers vomissements ;

A contre-courant pour en finir avec les rêves morts, des rêves qui sont les bruits blessés des fugues en nous qui furent nos flamboiements, mais l’erreur était de les croire exultées, faire demi- tour ;

A contre-courant des pourvoyeurs de déni et de reniement, de ce qui devient commun et aimer ce reflux en soi de l’aigreur subreptice, celle qui n’était pas invitée et aimer cette minute pressante où l’éternité devient possible, l’éternité d’un sentiment revenu ;

A contre-courant des résurgences amères de notre histoire, ce nous de trop qui se survit en se séparant et en se séparant devient le regard étreignant mais désarmé.