I
Cette voix, la nuit qui vient, inachevée, voix qui saigne et qui tombe, arc-boutée sur le flanc des bruits alentours, irritée, plainte parmi les plaintes quand les grands instants de la fin du jour s’espacent et disparaissent, voix éreintée dont le rythme secoué feint de dire la souffrance, fausse voix dans le tourbillon noir du soleil qui s’efface, cette voix ramassée dans son souffle, pesante, chapardeuse de temps par l’attention qu’elle réclame, voix frappée de l’angoisse d’aller et de se fondre dans d’autres voix, voix plus libres, marcheuses du soir, promeneuses des détours et des venues d’ailleurs, voix morganatiques des désirs de la nuit, cette voix, entre toutes, plus épaisse et plus raide, astreinte à geindre infiniment, cette voix de faux-fuyant, cette illusion de se propager, cette illusion d’être écoutée, cette voix morte qui plonge dans l’ombre emporte dans sa nasse les restes d’un plaisir qui n’était pas le sien.
II
Tomber, soulever encore la chape du ciel, gagner et s’évader par la porte battante, blanche sur un monde révulsé, illimitée sur l’horizon qui tremble, passer à genoux, irrespectueusement à genoux, se débattre désassemblé du monde, prisonnier du réceptacle de notre disparition du ciel, tomber en droite ligne dans les coulisses de l’ombre, tomber, finir, fuser comme une poussière défaite, absorbée par le vide, le ciel est là, il joue, il attend, hérésie laiteuse qui coule dans les yeux, se relever arc-bouté aux fissures du vent, seul appui dans ce désert mouvant, impalpable ligne sur la trajectoire de la chute, c’est devant, c’est derrière, tout autour comme un dédale de gestes incontrôlés, la vie agite encore ses membres dépecés par les gifles incessantes de ces instants fugaces, à peine vécus qui éclatent en lambeaux éructés, hurlement de la chute, hurlement du néant, hurlement de la mort soudaine. La délivrance attendue s’efface, tout devant, toujours devant, la ligne est toujours droite, de prison en prison, d’un ciel à l’autre, au confluent de l’horizon et du silence nécessaire, tomber.
III
Dans ce voyage, un seul horizon, des tabourets noirs en enfilade, de l’espace autour de soi, des lignes de ciel pur et froid en soi, tout un inventaire de bruits, du scintillement des fauvettes aux coups saccadés et sourds d’une ville assoiffante, du fond d’elle-même comme un tambour qui monte, et derrière le mur, au-delà de la porte, des arbres à profusion, des marteaux tombés du ciel qui frappent l’air et l’enflamment, parfois une absence, de celles qui nous basculent vers le silence, jamais vraiment atteint, des rampes d’orages installés qui se répondent, instantanément, des regards, tous adjacents, des haltes fréquentes pour apaiser la soif, gagner sur l’obstacle, achever l’histoire, des murs dans les prolongements d’autres murs, une idée fixe répandue sur le sol d’où monte la poussière – jamais la lumière n’est franche dans ce halo noir – où les murs sont encore droits, plus hauts, des réceptacles pour s’endormir, dormir plus qu’il ne faut pour attendre la grande intervention du soir, dans ces abris meurtris de l’homme, mais il n’y a plus d’abri, de l’espace autour de soi, délavé jusqu’au blanc du ciel, des aigreurs en soi parce que l’horloge tourne à vide dans les vides entrelacés des heures attendues, des agencement hétéroclites de bâches et d’étais, de poutres et d’étals, des corridors d’ombre, des rêves jamais entiers, jamais finis et si peu d’étoiles et si peu de vent, des hommes constamment en marche et à la tâche, des regards déjà vides, des mains automatiques, un fil, un seul, jusqu’à la mort, si court tenu, et la rue est interminable où la lumière tombe en droit-fil du ciel.