Avec La Houle, récit paru en feuilleton de 14 épisodes dans L'Humanité du 27 juin au 11 juillet 1913, puis réédité à titre posthume en 1931 aux éditions Bourrelier-Chimènes, Emile Moselly quitte la Lorraine pour la Côte d'Opale dans le Pays boulonnais, région qu'il connaît bien pour y avoir passé souvent des vacances.
A ce jour, nous connaissons mal les conditions d'écriture de ce récit. Nous avons seulement quelques repères. Un fait est certain : Moselly et sa femme affectionnent les bords de mer, le Pays boulonnais donc (où se situe l'histoire de La Houle), mais aussi la Normandie et la Bretagne. Ce sera d'ailleurs au retour de vacances passées à Lesconil (Finistère Sud) qu'Émile Moselly, victime d'un arrêt cardiaque entre Quimper et Lorient, décèdera dans le train, accompagné de sa femme et de deux de ses enfants. Il a alors 48 ans et nous sommes le 2 octobre 1918.
Déjà en 1902, il rapporte ses premières impressions sur les paysages marins 1 ; description du Pays boulonnais en juillet 1903 où il évoque déjà les forces invisibles du vent et de la houle 2 ; évocation de "choses angoissantes" comme le son de la bouée au Portel. 3
En octobre 1910, Emile Moselly emménage à Rouen où il a été nommé professeur. Le 26 octobre, il relate dans son cahier une promenade sur le port et perçoit "les âpres odeurs de mer qui fouettent [son] imagination et lui donne une sorte d'élan..." Il termine cette promenade et écrit : "Puis d'autres idées me sont venues en foule et j'ai rêvé d'écrire un recueil de nouvelles où palpiterait le vent du large, où passeraient des bruits de machine et des claquements de voilure, un livre que j'appellerais La Houle." 4
Plus tard il évoquera ses promenades dans le Pays de Cau, occasion pour Moselly de relier tous ces paysages qui l'enchantent à ce qu'il en connaît à travers les livres qu'il a lus. Et lors de ces promenades "une indicible sensation d'orgueil gonflait [ses] poumons et élargissait [sa] poitrine." Il ajoute : "j'avais l'illusion que toute cette nature sortant du sommeil m'appartenait, que toute cette terre, toute cette côte battue par les flots était à moi." 5
Indéniablement, Moselly est attiré par la mer, d'autant plus qu'à partir de septembre 1914 il n'aura plus l'occasion de retourner en Lorraine. Il passera ses étés dans le Calvados et en Bretagne.
Avec La Houle, on découvre un Moselly dans un univers inaccoutumé pour lui et pour ses lecteurs. Le lorrain, chantre inépuisable de la terre de ses ancêtres, nous amène au bord de la mer sur la Côte d’Opale dans le Boulonnais.
Dans un monde âpre et rude pour les travailleurs de la mer, l’intrigue linéaire de ce récit rappelle celle de Terres Lorraines. Elle décrit l'histoire d'une veuve de pêcheur qui, en vain, veut éloigner son fils de la mer et l’idylle entre ce jeune homme et une jeune fille qui laisse entrevoir un avenir serein nourri de bonheur conjugal dans une existence paisible à l’abri des dangers mortels de cette mer nourricière mais fatale.
Est mis en scène le terrible dilemme entre la mère et la mer. La mère qui retient et qui enferme pour protéger, et la mer, magnifique et redoutable, qui appelle et qui attire irrésistiblement. Ce fil conducteur est pour Moselly une nouvelle occasion de livrer sa sensibilité à l’égard des petites gens d’humble condition et sa vision pessimiste sur la capacité de l'homme à échapper à son propre destin.
Lorsque Moselly évoque Maupassant et son pays natal, il écrit 6 : «Toujours, il conserve, attaché à son cœur par de vivantes racines, l’amour de son pays normand. En vain écrivit-il Bel ami et Fort comme la mort, qui sont des romans parisiens. Certes son art y est toujours impeccable, mais on ne sent pas derrière les descriptions ce frémissement de l’âme, cette tendresse qui s’empare de lui quand il parle des collines vêtues d’ajoncs, des falaises bordées par l’éternelle et grondante écume, des barques virées sur les galets et qui ont l’air de gros poissons morts. »
Cette observation éminemment pertinente, Moselly aurait pu se l’appliquer à lui-même au sujet de La Houle. L’écriture est irréprochable, la qualité de l’observation et du rendu magnifiques, mais on n’y sent pas le vécu qui confère à ses portraits accomplis de la terre lorraine sa vibration profonde et émouvante.
Cependant, ce récit donne à nouveau la possibilité d’admirer le style littéraire de Moselly dont les descriptions sont autant de tableaux de facture impressionniste qui laissent le lecteur émerveillé devant des images aussi lumineuses.
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1 Golf du Morbihan, Les Cahiers p. 93-97, TheBookEdition, seconde édition, 2022
2 Ibid, p.110-113
3 Ibid, p. 132
4 Ibid, p. 132, p. 145-146
5 Ibid, p. 132, p. 213-219
6 Ibid, p. 119
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