Les distances entre les aplats bleus du ciel sont incommensurables. Elles sont le résultat d'une vision défaite, d'un rêve ou d'un regret. Ce ne sont pas les distances qui importent, plutôt les recouvrements, les zones de jointoiement, les superpositions qui, se dessinant, donnent les mouvements du ciel, le flux des bleus et leur reflux parfois désordonnés où des chimères naissent, fantômes inapprochables autrement qu'avec une vision d'à-côté, une vision tierce.
Une distance qui se fait discrète et qui réduit les amplitudes du regard, le ramène à sa réalité et reconstitue des éclairages absents, les dénoue de leurs attaches noires. Comment se construisent les ligatures des horizons au ciel ? Comment s'articulent vision, mosaïques bleues et enfourchement des teintes angulaires des bords du ciel ? Comment l'oeil fait-il part de ses intentions dans de tels commencements ?
Les visions basculent en désordre et, s'effondrant, donnent des preuves d'autres points de vue. Quelle sera notre parole ou notre décision ? Scellement des échafaudages pour tenir un regard, intimité avec des espaces en quinconce. Tout est abandon dans des bleus emboîtés les uns aux autres qui multiplient toutes les parts infinies qu'ils contiennent.
Textures et construction de teintes amoncelées selon des arrangements singuliers, la substance du bleu tient du fantasme et d'une réminiscence d'eaux-fortes, de miroirs répliquants et de gouaches brochées aux nuages immobiles. Incarnation d'une illusion qui amalgame et libère.
Dans le feu des ombres, les bleus sont arcs-boutants des brouillards qui donnent au ciel une armature tout en colonne. Ce qui soutient le monde est si léger qu'aucune confusion ne peut y introduire le désordre. Seul un souffle peut égarer les apogées tremblées des premiers scintillements. Voilà le relief des cohues qui ébauche la lumière, qui l'approche et la quitte, l'emporte. Toutes les teintes agissent dans la même direction, de bas en haut des crépitations d'une terre véhémente, empressée, au bord de la rupture. Dans le jeu des ombres, ce qui respire et qui cogne, c'est encore les bleus limpides des apparences et des nitescences brûlantes des retours
Portrait en sépia, imitation à la mine de plomb. Un exemple d'aquatinte dont les cordages tiennent les horizons. Portrait des reflets. Rien n'est possible sans les souffles qui effacent les couleurs sans les détruire.
Les perspectives sont des magies incidentes. Des magiciennes. Et ce que je sais des perspectives est gravé dans ma mémoire. Elles sont bleues, bleu-pâle, marines et opales.
(In Le Tiers Regard chez TheBookEdition)