Le Journal de Gottfried Mauser a d'abord été publié en quatre épisodes dans le journal Le Temps des 16, 19, 25 décembre 1915 et du 1er janvier 1916. La version du livre, plus longue et définitive, a été éditée aux éditions Ollendorff en juin 1916.
Les Contes de guerre pour Jean-Pierre, eux, paraissent, à la Librairie Berger-Levrault le 20 avril 1918. Ces deux publications encadrent pratiquement la durée de la Grande Guerre et forment une contribution significative d’Emile Moselly à l’effort de guerre et à la narration de son histoire.
A la veille de la guerre de 1914, E. Moselly est une personnalité reconnue.
Comme professeur, les proviseurs le recherchent pour lui confier une classe de première là où il le désirerait, Neuilly ou Paris. Ce sera finalement au lycée Pasteur de Neuilly. Avec un de ses collègues, Armand Weil, il a publié à Toulouse en 1911 un ouvrage classique Le Français de nos enfants. En 1913, il publiera, toujours avec Armand Weil, chez Larousse, une anthologie littéraire et artistique : Contes et récits du XIXe siècle (1).
Comme critique littéraire, il consacrera des chroniques et études à Emmanuel Delbousquet (L'Âme Latine, 1909), Lucien Descaves (Editions Sansot, 1909), René Perrout (Le Pays Lorrain, 1909), George Sand (Editions d'Art et de Littérature, 1911), Guy de Maupassant (La Revue Bleue, 1914).
Comme romancier, après le prix Goncourt en 1907, il publiera Joson Meunier (Ollendorff, décembre 1910), Fils de Gueux (Ollendorff, juin 1912), La Houle (l'Humanité, juin 1913, ouvrage repris à titre posthume en 1931 aux éditions Bourrelier-Chimènes), Les Etudiants (La Grande Revue, 1911 et 1912, réédité en 1919 chez Ollendorff).
Comme nouvelliste, il écrira pour de nombreux journaux (L'Humanité, Le Temps...) ou revues (La Revue Hebdomadaire, La Revue Bleue, Le Pays Lorrain...) dans lesquels il publie régulièrement des contes, des nouvelles et des chroniques. Entre 1908 et 1914, on recense la publication de 30 nouvelles et chroniques (2). Et il reçoit, en 1913, la croix de Chevalier de la Légion d'Honneur.
En juillet 1914, il cherche un logement pour sa famille et, en attendant, réside à Eaubonne chez la mère de sa femme. Fin juillet, il ramène sa mère de 75 ans à Eaubonne et ferme la maison de Chaudeney, qui restera vide. E. Moselly n'y reviendra pas.
Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France. La veille, E. Moselly, qui avait été mobilisé à la caserne de Toul, est réformé en raison de sa santé fragile. En septembre, E. Moselly conduit sa famille se réfugier à la Motte Saint-Héray dans le Poitou et il fait sa rentrée le 7 octobre au lycée Pasteur de Neuilly.
E. Moselly a alors 44 ans. Il a acquis une réelle notoriété, reconnu principalement pour ses qualités d’écrivain régionaliste, chantre doux et mélancolique de la Lorraine et de ses petites gens. Ses origines lorraines, les récits de son père Achille qui avait fait les campagnes de Crimée et d’Italie, les lectures des guerres napoléoniennes de Erckmann-Chatrian, la mémoire douloureuse de la guerre de 1870 lui ont conféré, malgré son humanisme, une profonde animosité à l’égard du "boche".
Le journal de Gottfried Mauser (1915) et les Contes de Guerre pour Jean-Pierre (1918) ne sont pas ses seuls écrits "de guerre" ou sur la guerre. E. Moselly publiera plusieurs nouvelles entre 1915 et 1918 : Canons de Lorraine (La Revue Bleue, 1915), Simple aveu (Le temps, 1915), Le crime de l'Allemagne (La Revue Bleue, 1917), Nausicaa (La revue des Deux Mondes, 1919), Prières pour nos morts (Revue France, 1918) et Bautru, soldat (La France Nouvelle, 1918). Toutes ces nouvelles sont précédées de Dernier séjour en Lorraine datant de 1914 (publié par le Pays Lorrain, à titre posthume, en 1931) (3) comme si E. Moselly renonçait à écrire sur sa terre natale et ses habitants, sur ce coin de Lorraine animé des vibrations des feuillages, des lumières et des parfums tout au long des boucles de la Moselle qu’il aime observer et raconter. Tous ses écrits à partir de 1914 traduisent son grand désarroi face à la guerre qui se concrétise alors.
L'assassinat de Jean Jaurès, le 31 juillet 1914, dont il est un grand admirateur pour ses prises de positions sociales, humanistes et pacifistes, va, paradoxalement, faciliter le ralliement d'E. Moselly, comme beaucoup de socialistes et plus généralement de la Gauche de l'époque, à l'Union Sacrée. Ses écrits prendront alors une tournure plus belliqueuse et vengeresse, même si - et alors qu'il a dû souffrir, du fait de sa situation de réformé, de ne pouvoir participer physiquement à l’effort de guerre - il exécrait le statut de militaire. Aussi s'emploie-t-il par l’écriture, la seule arme qu'il sait manier, à combattre de toutes ses forces l’ignominie de l’agression "boche" et l'avilissement par la violence qui n'épargne ni les bourreaux, ni leurs victimes.
Avec Le Journal de Gottfried Mauser, il nous fait entrer dans le quotidien d'un allemand, professeur de musique raffiné, pétri de culture romantique et animé de valeurs supérieures, enrôlé pour combattre dans les rangs de l’armée du Kronprinz et qui se révèle, au fur et à mesure de l’avancée des troupes allemandes à travers la Belgique jusqu'à l'arrivée en France, un acteur impitoyable des plus monstrueuses atrocités commises alors.
E. Moselly ne décrit pas des faits de guerre, il raconte la barbarie qui se déchaine contre les civils. L’abondance des détails et le réalisme des situations décrites forment une dénonciation véhémente des crimes de guerre. C’est ce qui donne toute sa valeur à cette contribution.
E. Moselly n’est pas allé sur le champ de bataille mais il en a recueilli toute l’horreur grâce aux multiples témoignages et reportages publiés dans les journaux de l’époque. Et il trouvera dans la presse toute la matière nécessaire à son récit, presse qui commente au jour le jour "les opérations militaires", les avancées et les reculs des armées (sur les fronts belge et français comme sur le front Est dans les Balkans) mais aussi "les crimes de l'Allemagne" (Le Temps, Le Matin, l'Est- Républicain...) qui reprennent parfois les "rapports et procès-verbaux d'enquête de la commission instituée en vue de constater les actes commis par l'ennemi en violation du droit des gens" (instituée par un décret du ministère de la Justice le 23 septembre 1914) et qui relateront tous ces faits de barbarie de 1914 à 1918.
J. Ernest-Charles dira : "M. Emile Moselly a voulu écrire le roman de la férocité allemande ; mais ce roman, c'est, à très peu de choses près, de l'histoire." (4). Bien au-delà d’un recueil, cet ouvrage est une condamnation irrémédiable de l’esprit germanique et des désastres qu’il provoque.
Plus doux, moins combatif mais non moins définitif, Contes de guerre pour Jean-Pierre prend la forme d’un testament adressé à son dernier fils, Jean-Pierre, né en 1913 (onze ans après sa sœur Germaine et quatorze ans après son frère François). Dans ces contes, E. Moselly endosse son rôle de professeur, et adresse aux enfants et aux adolescents, à travers son petit garçon, une leçon pour ne pas oublier l’horreur de cette guerre (5). Si, comme il l'écrit, Le Journal de Gottfried Mauser est "un livre de haine et de colère", les Contes de Guerre s'attachent "à composer quelques récits qui lui [Jean-Pierre] permettront de saisir dans cette atroce guerre des images appelées à durer dans son esprit." Il en appelle à la mémoire. Du "nous ne pardonnerons jamais", il passe au "nous n'oublierons jamais" et, tout en reprenant la parole de l'Antigone de Sophocle "Je suis née pour l'amour et non pour la haine", il souligne pourtant et encore que "pardonner à l'envahisseur, c'est trahir nos morts". Mais, ajoute-t-il, "il me semble que leurs mânes [celles des morts] sont apaisées, qu'ils ressentent une consolation légère, dans la terre sanglante où ils reposent, chaque fois qu'une voix d'enfant prononce le serment solennel de n'oublier jamais." La question du pardon est fondamentale pour E. Moselly. Il la résout par un nécessaire devoir de mémoire.
Ces deux ouvrages ont été bien accueillis par la critique de l’époque. Aux yeux des commentateurs, ils traduisaient fidèlement l’horreur que la sauvagerie des envahisseurs avait suscitée (6). Rares sont ceux qui ont souligné le contraste entre le Moselly tendre et poétique de ses productions antérieures et le Moselly féroce et ironique du Journal. Beaucoup de journaux, après une très courte introduction, reprennent des passages de l'ouvrage, le plus souvent sur les saccages auxquels se livrent les "boches" (L'Ouest-Eclair du 2 janvier 1916, Paris-Midi du 23 juin 1916, l'Action du 24 juin 1916, Le Petit Comtois du 6 septembre1916). Ce sera dans l'Excelsior (déjà cité) que J. Ernest-Charles soulignera le mieux les paradoxes auxquels E. Moselly est confronté : "M. Emile Moselly était désigné pour l'écrire [Le Journal de Gottfried Mauser]. Non parce qu'il est un romancier de la terre lorraine et que la terre lorraine a souffert plus que toutes les autres peut-être de la brutalité des Allemands. Mais parce que l'auteur de Jean des Brebis ou Le Livre de la Misère, qui demeure son ouvrage le plus vrai et le plus pathétique, a toujours eu une pitié infinie pour la souffrance des hommes. Il souffre, il pleure avec les malheureux. Il ne se révolte point, et le sentiment de commisération douloureuse qu'il éprouve, se fond en un attendrissement fraternel. Maintenant, surgissent la haine et la colère. C'est que les méchants ont voulu être méchants, c'est qu'ils se sont appliqués à nuire avec autant d'obstination que de méthode. Il écrit donc par esprit de vengeance - mieux : par esprit de justice - le livre des atrocités allemandes. Son roman est un témoignage. Le plus âpre mais le plus véridique."
Comme un testament encore, E. Moselly, dans la dernière nouvelle des Contes de Guerre, convie son fils à un pèlerinage à travers la Lorraine et l'Alsace bientôt libérées de l'envahisseur. A cette occasion, il retrouve le lyrisme impressionniste de ses écrits lorrains, clôturant, par une marche qui va du cimetière de son village où repose son père aux contreforts vosgiens de l'Alsace, en passant par Metz - "nulle ville n'a davantage [qu'elle] le caractère lorrain" - et Phalsbourg - cette "autre petite ville, pareille à notre Toul, comme elle entourée d'une ceinture de murailles à la Vauban, comme elle repliée et silencieuse" -, le cycle de ses écrits de guerre par une vision apaisée de sa terre natale.
Après le décès subit d’E. Moselly en octobre 1918, Madame Th. Harlor, Secrétaire générale de la Ligue "Droit et Liberté" écrit dans son rapport annuel du 9 mars 1919 au Musée social : "Emile Moselly assistait régulièrement aux réunions de notre Comité. L’auteur du Rouet d’Ivoire (et de tant d’autres livres savoureux et délicats), lorrain tendrement épris de sa Lorraine, vivait, depuis 1914, dans toute l’exaltation d’une sensibilité particulièrement frémissante. Non qu’il étalât un patriotisme voyant. Mais les vicissitudes par lesquelles nous passions retentissaient en lui avec force."
Ainsi, son extrême sensibilité, jusque là au service d’une prose foisonnante de nuances délicates et de tableaux impressionnistes s’est muée, dans le contexte de cette guerre, en caisse de résonance assourdissante de la barbarie des hommes.
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1 Alfred Saffrey dans l'Amitié Charles Péguy du 15 mars 1966
2 Pour un bibliographie complète, Cf. Nouvelles, portraits et croquis Vol.1, p. 297 (TheBookEdition, 2023)
3 Toutes ces nouvelles ont été publiées dans Nouvelles, portraits et croquis Vol. 2, (TheBookEdition, 2023)
4 Excelsior - Journal Illustré Quotidien du 8 juillet 1916
5 Comme il le fera dans le texte Prière pour nos morts publié dans la Revue France du 25 mai 1918 - Cf Nouvelles, portraits et croquis Vol. 2, p.291 (TheBookEdition, 2023)
6 Charles Daudier en décembre 1918 évoque pour Le Pays Lorrain (N°9, août-septembre 1919) la carrière littéraire d'Emile Moselly. Au chapitre consacré au Journal de Gottfried Mauser, il écrit : "Le grand drame qui, durant quatre longues années, se déroula sur la scène européenne et au dénouement duquel il n'eut pas la joie d'assister, lui suggéra ce curieux Gottfried Mauser, l'une des plus fines et des plus mordantes satires de la mentalité allemande, que le Temps publia dans ses colonnes en 1915 et qui parut l'année suivante à la librairie Ollendorff. Jamais ouvrage ne lui attira courrier aussi volumineux. Des correspondances lui vinrent, me dit-il, de tous les points du globe : lettres d'insultes de germanophiles irréductibles, mais aussi, et combien plus nombreuses, lettres d'approbation, ardentes et enthousiastes, d'étrangers favorables à notre cause ou simplement impartiaux."
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Disponible chez TheBookEdition