Dans a minima, récit d'une digression (chez TheBookEdition)
Lettre 1
Nous sommes arrivés à l’hôtel vers 10h du soir, la chambre fort heureusement était toujours disponible. Une grande chambre blanche, quelques fleurs bleues sur une table basse, une salle de bains immense, un balcon donnant sur de vastes feuillages sombres. Un silence presque impressionnant. Nous étions enfin réconciliés sans arrière-pensée. Toute cette journée nous avons été bousculés par les apparences et nous avons cherché des horizons que nous n’avons pas trouvés. Les distances étaient trop grandes, les nuages trop bas et, parfois, nous nous sommes trompés de direction. Sans carte, sans repère, sans argument pour arrêter de nous contredire, sans mauvaise raison (ou bonne ?) d’interrompre cette errance. Jusqu’au moment où, à Ancey, nous avons bifurqué vers Baulme-la-Roche. Nous avions notre compte de route et nous avons pris un sentier dans le bois alentour. Nous avons marché sans précaution, abandonnant nos convenances et notre souci de conformité. Qu’étions-nous devenus sans inspiration et sans intuition ? Nous nous sommes traités d’imposteurs et nous étions pourtant dupés. Puis nous n’avons pu retenir un rire. Nous avons levé les pièges que la vraisemblance avait dressés. Jour mirage !
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Lettre 2
Nous sommes repartis dans l’après-midi en direction de Saint-Léonard-de-Noblat par les petites routes. En venant de Saint-Pardoux-la-Rivière, nous n’avions pas grand choix. Et c’était le meilleur. Une départementale par Miallet, Chalus, Nexon et Boisseuil. Plusieurs fois, nous nous sommes arrêtés en bord de route pour profiter des prés alentour, de l’ombre des sous-bois, des premières fraîcheurs de la saison. Rien de spectaculaire mais rien d’anodin. Tout un ensemble en équilibre, dans ses élancements comme dans ses retombées, des perspectives courtes et précises parfois rehaussées de demi-jour, des profondeurs finissant en demi-teintes comme des échappées de couleurs presque mélancoliques, automnales, tout un éclairage venant du dessous des feuillages dans un avant-goût de mise en scène. On s’attendait à voir s’alarmer des bancs d’oiseaux multicolores mais ce n’était que trompe-l’oeil de feuilles et étincelles de soleil projetées les unes contre les autres. Nous guettions cette éventualité d’un envol enjoué qui aurait fait éclater la profondeur des futaies et des taillis, mais rien n’est venu et la seule apparition fut une biche égarée qui nous toisa de ses grands yeux perlés.
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Lettre 3
Nous sommes arrimés à l’indicible et notre secret nous tient dans les promesses faites à nous-mêmes. Nous allons dans les illusions du voyage et les routes où s’effilent les paysages et les nuages sont des fééries qui révèlent nos fantômes tant la nostalgie nous est familière. Nous entrons dans le voile de la première obscurité et les orages, si dramatiques qu’ils soient, ne sont que simulacres et demi-jour en défaut de perspective. Nous avons des visions communes, élancées et nitescentes qui nous emportent légèrement vers les espaces dont nous rêvions. On ne s’interdit rien et la tranquillité du monde nous accueille même si, tout tendus de la subtile folie du ciel, nous tremblons de nous élever si haut, déjouant les seuils et passant outre les lisières des premiers horizons. Nous ne négligeons rien, ni les vents désassemblés qui nous ralentissent, ni les pluies versatiles emplies de pièges indécelables dans lesquels nous pourrions être pris, où nous serions distraits de l’essentiel, séparés de cette intimité indispensable avec les lents mouvements du monde, d’être cette pulsion du ciel qui, prodigieusement, nous pousse en avant dans les visions inépuisables de nos voyages.
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