A Renoir
Ce que je sais de toi, je l'invente à chaque instant de tes gestes, de ton allure et de ton pas, de cette façon de pencher la tête quand tu te tiens droite, comme un assentiment qui a du mal à dire, qui ne sort pas, qui reste en deçà ; cette manière douce d'avancer le corps, le bras, la main, de poser sur les choses une approbation calme et instantanée. Je l'invente dans la réalité de tes mouvements et de ta présence, ce silence tout à coup qui entame tes gestes.
Ce que je sais de toi, je l'apprivoise dans tes yeux, où parfois je cherche ce regard que la tête baissée cache, je cherche un signe de toi qui retient sa respiration, toute intérieure, une respiration dépaysée, presque apnée, très lentement maitrisée et remontante à mesure que je retrouve ton regard. Je t'invente à mesure de ta réapparition.
Ce que je sais de toi, je l'approche chaque jour que tu ouvres les bras, que ton sourire respire, si fort ramassé, si peu revenant. Je t'approche et je t'invente de cette façon égarée d'aller au plus pressé, mais patiemment. Cette invention est la mienne, cette image est la tienne. Elle coincide dans ma connaissance de toi.
Je t'invente à mesure que tu t'approches et je sais que je ne sais peu de toi, que ces petits hochements de doute, ton sourire patient, légèrement moqueur ou distant, ce filigrane de tendresse, cette compréhension indulgente face à mes maladresses. Je t'invente dans mon désarroi de ne pas te saisir entièrement, de ne pas approcher toute ta réalité.
Ce que je sais de toi revient dans une chanson de Leonard Cohen.
Ce que je sais de toi est de s'arrêter chez l'Indien au toit bleu.
Ce que je sais de toi est de t'avoir attendue.
Ce que je sais de toi n'est pas écrit.
Et cette façon de te blottir dans mon dos les bras autour de ma taille.
Comment veux-tu que je te vois ?
Comment veux-tu que je te vois quand tu t'enroules ainsi contre mon dos tout autour de ce corps dans lequel je ne me reconnais pas - le mien ? Comment t'imaginer ? Alors je t'invente à mesure de ta respiration qui glisse le long de mon épaule et je comprends tes yeux fermés, doucement, doucement, avec ce désir de se laisser aller, ce désir souverain de ne plus bouger, d'être un recoin de toi-même où tu te réfugies. Te protéger de quoi ? Pour oublier qu'il faudra ouvrir les bras, en sens inverse cette fois, pour se libérer de nous-mêmes, nous détacher, nous voir. Ce que je sais de toi est tout entier dans ce mouvement arrêté de ton corps contre moi, du poids de tes bras autour de moi, de la tendresse de ta joue contre mon épaule où je peux m'accepter à mesure que je te découvre, de tes yeux qui s'ouvrent, qui reviennent, que je vois. Ce que je sais de toi est dans tes yeux gris-vert.
Ce que je sais de toi est un matin léger aux marches du soleil.
Ce que je sais de toi est un jour de prison sans fin.
Ce que je sais de toi est une fuite en avant la nuit venant.
Ce que je sais de toi s'invente dans les silences que tu décides.
Ce que je sais de toi tient dans la paume de ta main posée sur mon épaule où je devine qu'elle me retient de te regarder. Ce que je sais de toi est dans le silence de ta main.
Ce que je sais de toi est dans ce petit hochement de tête, léger sursaut, légère arcade qui approuve ou qui dénie sans le dire, en le disant pourtant, en affirmant bien haut et tout bas, oui, non, selon les circonstances. Ce que je sais de toi me traverse encore comme une question répondante.
Ce que je sais de toi, je l'invente de tes bras autour de moi.
Ce que je sais de toi ne me rend pas plus serein.
Ce que je sais de toi est un bouquet de roses pâles posé sur la table carrée.
Ce que je sais de toi est un voyage, pas une destination.
Ce que je sais de toi tient à un fil et tu m'échappes. Ce que je sais de toi tient dans le doute de te révéler. Apprivoiser ? Un fil qui n'atteint pas le bout du labyrinthe, lui-même inextricable dans les dédales et les aller-retour qu'il nous impose, enchevillé dans les passages que je tente d'ouvrir vers toi, au seuil de toi.
Je suis au seuil de toi, à t'entrevoir.