A l'origine, autour de la fontaine, les frondaisons couvrent le sol de régularités fines et élevées, des roseaux courbent la lumière, des branchages libérés du vent haussent le soleil vers les étoiles, des feuillages éparpillés donnent au ciel sa couleur argentée, du plus noir de la nuit au plus clair du jour. Les fondations de l'origine n'ont pas résisté ; la pluie a lavé les feuilles, détrempé les racines, pourri le tain et l'écorce des miroirs ; le vent lui a succédé arrachant ce qui restait de mémoire.
Plus tard, ce sont les mots qui ont disparu, ceux qui disaient les orages et les lenteurs des cieux bouleversés, ceux qui disaient les longues avenues désertes et les couleurs du soir, entre l'or et le noir, ceux qui permettaient d'expliquer le ciel sans en dire plus que son élévation et sa profondeur, ceux qui chantaient quand le coeur n'y était plus, tous ceux qui renversaient le malheur et donnaient du bonheur, disparus dans d'autres mots plus droits mais moins fiables.
Revenir à l'origine devint secondaire. Seule la bonne expression comptait. On recourra aux paroliers et aux conteurs, aux diseurs des fortunes perdues, des apôtres tentèrent l'aventure, des anges aussi et des rois. On perdit l'origine. Tous donnèrent dans le sacrifice de mots. Aujourd'hui, les arches et les coursives, les échappatoires le long des cloîtres fermés, les terrasses comme les greniers à grain sont vides. Il reste cette fontaine, espace épuisé et silencieux, où l'eau coule sans enchantement.