La grande porte est ouverte. En perspective, une allée droite cassée par l’ombre des arbres, de grands arbres mauves et bleus, irrésistiblement élevés vers le ciel et, au pied de l’ombre, les traces plus sombres, comme soulignées, des bords du chemin, lignes tirées de chaque côté de cette fuite en avant, mais arrêtée, immobile et intacte. Au fond, un petit bout de terre, à peine distinct du ciel, du reste du ciel caché par la masse éblouie des feuillages. La grande porte est ouverte, c’est-à-dire qu’elle donne le cadre de cette vision majestueuse d’aplats bouleversés élancés - ordonnés - vers un vide blanc, qui surgit d’un autre vide, appuyé sur lui-même, débouchant sur d’autres visions à pic, pures, délivrées des obstacles du sol, éclairées par la seule lumière des bords du ciel. La grande porte est ouverte, c’est-à-dire qu’elle ordonne un monde qui s’enflamme et qui brûle, subtil où l’ombre retenue se disperse de feuille en feuille – ne se détache pas – et revient, désamarrée un instant des branches qui la font naître, berceau fragile de cette clarté qui vient, réverbérée jusqu’au point où elle danse et, se mêlant à elle, éclate encore pour tomber et s’élever encore. La grande porte est ouverte, c’est-à-dire qu’elle édifie le ciel jusque dans les soupirs et les silences qui se dissipent en lui, jusque dans les plus petits obstacles – les scrupules – sur lesquels il devient impalpable, immatérielle main tendue au front de la lumière, garde-fou de toute l’architecture fluide qui nidifie à son sommet. La grande porte est ouverte et l’horizon, juste entr’aperçu, planté droit, en face, est le vertige franc d’un ciel où il fait bon aller.