Martel en tête. Décidément reculer encore, se donner une vision, élargir le champ, saisir d'un seul regard, ouvrir l'espace reçu en soi.
Marquer le pas, faire ce petit écart de côté pour placer la lumière au-delà de ce qui est vu, faire des ombres pour augmenter la luminosité du ciel, derrière, loin devant soi.
Reprendre la pente, décidément monter encore, trouver le souffle, se déterminer pour un autre point de vue, fermer les yeux, comparer ce qui, fugitivement, disparait, puis revient, plus mal ou mieux placé, encore un pas pour gagner le meilleur équilibre de cette vision de coin de monde marqué par cette haie de barbelés.
Passer outre le pas qui hésite, partager l'absurdité de cette hauteur nécessaire et insuffisante.
Se dire qu'au-delà de cette vue la blessure se poursuit en dehors de tout regard, de toute présence pour l'attester, se dire qu'il faudrait y aller tout en conservant ce désir de bien voir pour comprendre les détours et les recoins de cette frontière.
Il aura bien fallu que certains en définissent le traçé, que d'autres l'exécutent, là, sur le terrain, mais ne jamais renoncer à se dire qu'il y beaucoup de vanité à scinder ainsi la terre en deux, en trois, en mille, beaucoup de vanité et peu d'orgueil.
Décidément placer haut la volonté de comprendre et avancer, puis reculer, puis suivre à grandes enjambées ce fossé, ce mur, ces herses, ces rives naturelles et ces orées aussi érigées en limite.
Revenir sur ses pas, descendre la pente, gagner du souffle, lever encore les yeux, sentir la lumière tomber, sentir son poids, sentir jusqu'à l'étourdissement, dévaler quelquefois pour éprouver le bonheur d'aller à l'abandon, imaginer que rien n'arrête notre course, imaginer merveilleusement la terre indemne.