Entr'aperçu, comme un horizon soulevé, irrésistiblement aspiré par le haut, intermédiaire pourtant dans un ciel qui se souvient de sa profondeur et de son poids, dans l'entrelacs des charpentes qui le portent, mais légèrement, du bout des doigts, dans ce qui serait un dédale invisible fait d'ouvertures parfois plus claires ou d'impasses plus sombres, à mi-chemin du désert qu'il quitte et des rives qu'il abordera immanquablement, voilà le trait soudain qui décide de sa course, qui décide de l'allure de la pente, la raison invoquée de sa sortie de l'ombre, pour voir, pour vivre ; entr'aperçu, alors que le silence pèse, entrecoupé de souffles et de cris apaisés, à l'apogée de la nef qui le répercute sur des murs droits et blancs, sur les côtés du monde, dans les branches du bruissement doux de l'ombre, à l'heure dite du couchant qui plonge toute chose dans sa chaleur et qui projette, entrelacés, sur les parois du ciel, les rêves qu'il fait naître ; entr'aperçu à force de paraître dans le flux et le reflux de soi ; entr'aperçu par magie dans l'illumination fragile d'une étoile qui se noie, derrière les rêves, dans les rêves renouvelés de sa naissance, résurgent nécessairement du magma qui l'enserre jusque dans ses respirations et, scintillant à nouveau, perd à nouveau ses racines jusqu'au prochain sursaut ; entr'aperçu dans le sourire de cette infante au pied cassé ; entr'aperçu quand, martel en tête, l'horizon borné de ses frontières plonge dans le tumulte bleu de ses propres limites, résultat d'une démission plus forte, quasiment définitive, celle du ciel contre sa lumière, celle du ciel contre son crépuscule ; entr'aperçu dans l'aile de l'oiseau subreptice, effleurant le fond du ciel ; entr'aperçu sur la crête de la vague à l'assaut de l'air, qui renoue avec toutes les vagues, passé le cap, passé l'orage, passé la grande barre de corail qui coupait le monde en deux, avant et après elle dans l'effondrement du ressac de la mer sur elle-même, toujours la nuit plus lente ouverte sur les étoiles, sur la crête de la vague jetée sur le reflet de l'eau dans la vitrine d'une devanture, absorbée par tous les reflets du soir dans les glaces pourpres des villes lointaines, réservées, où l'on entre fatigué de la route, sur la crête de la vague, la plus forte, qui l'emporte dans un soulèvement interminable à l'assaut du vide et du silence, dans un silence blanc, lumineux jusqu'à l'extase - et la mer se calme ; entr'aperçu dans ces yeux si clairs et ce sourire si doux ; entr'aperçu où le vent s'est levé sur le gisant des vagues à la longue respiration, où la ruse est diaphane au faîte du toit du ciel ; entr'aperçu plus que jamais disponible dans les ailes des oiseaux frôleurs, luminescence magique du blanc sur le blanc quand l'horizon n'est pas plus loin que le bout de la main, quand affranchi du poids vivant d'eux-mêmes la réverbération de leurs plumes éclate en morsures sur le ciel arrondi ; entr'aperçu dans ce rondo de Mozart, retourné dans les plis d'une patience qui ne finit pas, carte après carte déposées sur le fil tendu de cette patience attendue ; entr'aperçu au début du jour sous la pluie brusquement survenue, la pluie d'un long matin, d'une longue attente de la lumière ; entr'aperçu dans l'improvisation d'une danse pas à pas quand le corps se déhanche au rythme d'une salsa, quand le corps rejeté se défait, interjeté, grandi, appelant l'indiscrète perspective à la verticale du cerveau qui la réfléchit dans ses miroirs en face à face, ordonnance du dedans sur le dehors, du froid sur le chaud, lente agrégation, en apparence le vent n'a pas changé de trajectoire, il plie aux mêmes endroits, à peine décalé, déchiré de bas en haut de sa force ; entr'aperçu toujours possible au sommet des nuages dans l'implosion grise et blanche du souffle qui les tient, le regard renversé pour toute prière ; entr'aperçu comme une révélation, révélant l'ordre accidentel des pas sur le sable, cette intime familiarité avec l'artifice, la légèreté faite profondeur des yeux et chaleur du corps, l'ingénuité faite vérité de la chair et cœur du désir, il n'y a rien d'illégitime dans ce risque pris à parfaire la démesure de soi, rien d'anormal à le croire magistral, miraculeux, en somme féerique parce que ses excès sont le théâtre de nos sens ; entr'aperçu à la rescousse de la jouissance, dans la main de l'autre, dans le regard de l'autre, arrimé à jouir d'elle, écrasée de caresses, ombre de la main enfouie dans la chair, jusqu'au retournement, jusqu'à l'émerveillement, main délivrée de l'obstacle jusqu'au cœur, entre la vie et la mort dans l'obscur assujettissement du dormeur réveillé, la plaine ouvre ses plis, délivre de la soif, jusqu'au recueillement recroquevillé, sans plainte, attentif au souffle qui survient, voilà le grand voyage, à 13h29 tout recommence ; entr'aperçu, rencontré au débouché de l'orifice bleu du vide, avant de naître, avant le cri, martelé dans l'entre-deux du silence d'avant le terme, en deçà des gestes et du premier sourire, en deçà de la vie et des premières larmes ; entr'aperçu dans l'explosion bleue du premier matin ; entr'aperçu dans la chaleur qui ride l'air et retient le feuillage dans sa naissance ébruitée ; entr'aperçu à l'horizon qui tourne, bruissant soudain d'un vent long sur son fil de soie, jeté par terre, se relevant, enlevé dans les branches qui jouissent, heurté revenu glissant le long des haies, arraché des murs qui le retiennent, sans limite, sans trêve pour respirer, qui tombe brutalement en aplat lumineux sur la cime des arbres, sans limite, bleu, voilà le mouvement du monde.
(Août 2004 - Octobre 2005)