L'ombre, les yeux fermés, lumière bleue lentement estompée, premier artifice qui s'élève, tombe, recommence ; le jour a fui, léger, avec lui le renon-cement, jusqu'à l'horizon grandi sur l'ombre qui le prend, le couche sur lui-même, l'oublie.
Les yeux fermés, encore, à demi, à l'à-pic d'une nuit qui vient, au surplomb d'un ciel noir, quand la danse décervelée des étoiles se fige brusquement, une à une tombée dans les mains, parce que l'imminence du silence le veut.
Au droit-fil de cette explosion noire, le corps morcelé se referme sur ses plis, rétracte ses blessures, déplie son crépuscule ; il finit incandescent ; il finit où la mort le soulèvera, dans cette invention de la chute et du glissement parce qu'il y a des voyages sans transport quand une main se referme sur l'autre.
De défaite en faillite, l'ombre a changé de sens, du bleu au blanc, elle monte, lâche, succombe à l'approche de la fenêtre ouverte, devient discontinue, s'interrompt brutalement, elle sera intime, deviendra perspective et profondeur, sera plan, poids, point, profil, ébauche d'autres ombres qui la portent et dont elle se nourrit.
Dans cet instant, le silence vient en pleurant, où les voix ramassées implosent, effondrement des traces, tous les faux pas dans une seule larme, ces sauts de signe en signe qui n'aboutissent pas, même la main ne dit plus, mise en réserve ou en échec, qui coupe en deux le jour et l'ombre qui la suit, l'entoure, devenue indigo à la naissance des pleurs.
Où l'horizon disparaît, il laisse un vide effilé, suspension réservée de l'instant, réceptacle du silence qui monte et sur ce fil tendu le soleil n'éclabousse plus. Où les filets du ciel lui laissent sa place, il tend entre les ombres d'autres filets qui pourvoiront à son retour et sur ce champ fini, l'œil a fini de voir et la main de toucher.
Tout attend. Rien ne bouge. Les fêtes étoilées sont closes dans un ciel purement gris et la main qui vient de retomber n'a pas tout donné - comme il le faudrait - n'a pas tout montré des blessures de sa vie mouvante - pour laisser trace - n'a pas tout expliqué des effeuillements qu'elle fit, par amour et pour l'amour, pour d'autres rencontres, pour la seule espérance, devenue, là, interdite, tombante, retombée.
Et sur la terre rétractée sur ses plis, cassée contre ses frontières, à la réception du ciel, toujours dans l'entre-deux d'elle-même, inquiète, voix élevée quand la colère approche, mais une voix plus qu'un cri, voilà qu'elle finit d'alerter ; et sur la terre, dans les palais désertés où déambulent les soldats et les ombres, le silence est venu avec ses cortèges vides et douloureux, ordonnés et mis en garde sur les plaies refermées de cette voix qui voulait.
La mémoire est intermédiaire, mal interprétée et la voix qui vient de se taire l'emplit encore, stagnante de bas en haut de ses strates. Elle est l'eau morte d'un bassin oublié, comme s'oublie la mémoire, d'un pli à l'autre, devenue la frontière en soi infranchissable entre le dedans et le dehors, parce que tous les arguments sont vains, parce que la place était comptée pour cette voix qui s'est tue.
A l'approche du feu, il n'y a que le silence, plus étendu que l'eau, plus dense que le sable, pour réserver - parce que les hôtes sont partis, les gardes repus et fatigués et la nuit emplie d'un souffle neuf - sa part de feu en soi qu'aucun autre plaisir ne pouvait remplacer. Le jour a fui, enfin, léger, et avec lui le renoncement.
(New Delhi, janvier 2003 )