SUR LE FIL
Du 9 au 21 octobre (aujourd'hui) : tri, classement, rangement. Un peu d'enfance revenue.
BRODERIE
Presque rien, presque tout. Au milieu un seul silence, un seul ciel, une seule nuit. Le même point qui revient, à l'envers, à l'endroit, selon l'humeur, selon l'heure. Mais il est tard ou trop tôt pour finir. Mais revenir, recommencer sans se retourner.
FACE AU GRAND ARBRE
Une place vide, un ciel échevelé et, derrière, l'autre ciel sans trace, sans étoile, un aplat bleu, immense, désormais sans limite où l'aile de l'oiseau étincelle sur sa crête, brusquement retourné, fusant, ramené sur lui-même, puis un cri, un seul dans ce vide de l'âme, un cri aigu, vociférant parfait, ultime vertige de soi dans le bleu réel d'un ciel ouvert.
Silence
Un coup de vent efface tout, les lumières, les ombres, les lumières dans les ombres et donne sur une nouvelle clarté, absolue. La vie revient. Le centre du monde s'est déplacé sur ses bords, remue dans les marges, se fait ressac bouillonnant, grotesque, infantile, défait les talus, tue les adolescences, devient grave, furtif, suspect et plus loin, à portée d'une voix, le grand arbre n'a pas bougé, hiératique.
Silence
La belle humeur, la belle amante dans son lit cérulé aux arpents déboutonnés, corsage ouvert sur une forte poitrine, à moitié nue, errante dans le ciel au-dessus de soi, égarée pour l'éternité, la belle amante aux bras nus revit ses premiers jours, ses premiers sursauts, ses premiers spasmes, blottie au cœur de l'autre, d'un coup se lève, se libère de ses derniers habits, se dresse, s'arcboute, hausse sa croupe bleu dans un ciel devenu elle-même et attend, désespérément, de jouir.
Silence
EN CREUX
Rapporter de là-bas la lumière blanche, les jours laiteux, les ombres détourées, les ombres mauves sous les arbres dispersés, la terre rouge, la terre-sable lacérée d'étoiles qui entame les rochers noirs qui sortent d'elle, seulement par endroit, mais des endroits déterminés qui ne doivent rien au hasard, des espaces nécessaires, intimement liés à d'autres espaces plus vastes, plus vides où passent des hommes et des femmes, des enfants seuls, parfois des ombres.
Rapporter de là-bas des gestes, des regards, des demi-sourires, pour dire non, pour dire oui, des signes de cette attente interminable que quelque chose advienne, qui ne viendra jamais, des signes encore comme des éclats bleus, des rêves clairs, de longs souffles qui s'éteignent avec le début de la nuit et, au milieu, la foule épaisse des fêtes qui se dispersent avec ses lambeaux d'enfants qui poussent sur ses flancs.
Rapporter de là-bas la lumière et les ombres des premiers renoncements, des dernières espérances ; rapporter de là-bas l'ivresse instantanée des artifices et des sortilèges. Il y avait des ombres, elles sont restées des ombres et nos rêves n'ont rien dit quand nous les avons croisées, opportunément réelles.
COMPTE ET MÉCOMPTE
Où il fait bon aller, sous la lumière bleue d'un ciel étagé de silence et de patience, où il fait bon rester, même absent
Où la nuit commence, en vague à l'âme, en partance, sous la ligne de flottaison de la première étoile, où il fait bon se perdre, même un instant
Où l'orage cède, dans un lointain parcours, et monte en masses sombres qui, au sommet, s'effacent pour renaître ailleurs
Où le ciel s'ouvre en grands aplats bleus, où le ciel s'effondre, irrésistiblement elliptique
Où le chemin mène, dans ses entrelacs coupés des vides que la nuit a dressés, assourdis par un brouillard soudain que la lune adoucit
Où la fontaine a laissé filer son chant pour retenir la fauvette épeurée
Où l'orée lie la terre et le reste de la terre pour ne faire qu'une ligne qui fuse en droit-fil d'un regard à un autre regard, ceux qui s'éloignaient et qui ne se voyaient plus
Où les sentiments marquent le pas, d'entre tous les écarts ou les faux-pas accumulés les seuls à revenir à la mémoire par petites touches
Où il est trop tôt pour mentir et trop tard pour dire le vrai, la grande affaire en somme que s'installer en aplomb du vide
Où il nous revient que la nuit n'a pas débuté inopportunément
Où l'ombre des manèges immobiles tourne dans les lambeaux d'une fête foraine désertée pour cause d'intempéries
Où la main a lâché la main au seuil d'un matin clair mais pour revenir plus tard et retrouver cette main faite pour elle
Où il fait bon se perdre, à bout de sentiment, arrêté en bordure de route, ni avant ni après, pour goûter la énième cigarette de la journée, se délasser de petits riens, cette vue, ce silence, cette tentation de se croire libre
Où il est acquis que rien n'est acquis...
Où la Grande Ourse dérive dans un ciel éperdu et miraculeux, nous avons notre place
Où il fait bon aller, où il fait bon rester jusqu'à profusion, exubérance, illumination et s'il faut douter que ce soit bref et concis
Où la nuit reviendra.
MANIÈRE DE FAIRE
Choix de l'instrument, choix de la couleur, allongement du pas (choix du rythme), déplacer le point de vue (un pas de côté), décider des limites, fi des frontières ! fi du renoncement ! S'arcbouter au ciel, grandir un peu. Sans hésitation montrer les ratures, les ajouts, la grande ballade intérieure. Se perdre parfois, toujours revenir à l'instrument, la couleur, le pas.
EN EXERGUE
Où j'écris est un endroit insignifiant. Le décor ne compte pas. Il y a seulement de l'espace autour de soi, un souffle d'air, quelques lumières disparates, une torpeur alentour, des bruits indéfinissables réservés sur les murs qui deviendront leur blanc tombeau. Puis un seul silence, une seule attente.
Maintenant le jour est clair, grand, interminable.
Où j'écris change de lieu chaque fois qu'un nuage chasse le soleil de sa place inapprochée, le rêve gagnant du soleil sur la lune. Elle !? Elle ruisselle sur les cailloux parsemés du ciel en cascades inassouvies. Elle est sa petite force intérieure. Elle lui dédie son sautillement.
Où j'écris n'a pas de nom, pas de place. il est l'instant, l'instant-là de tous les lieux possibles. Il est un trait, une ligne, un soulignement bleu-vert au seuil de tous les instants pris à écrire.
Le ciel finit de sombrer dans le soir où j'écris, à l'arraché sur le temps.
Maintenant la nuit vient, lumineuse et chaude.
RETOUR SUR ALEP
Alep est une ville, une destination, une femme, une vision lumineuse du démiurge en nous qui feint de d'ignorer qui nous sommes et ce que nous ressentons, mais une vision interdite et assujettie à des ambitions plus grandes que lui qui se démet à chaque renoncement.
Alep est bleu-lavande, bleu-cerise, bleu-sang, tournoyante, filante, parfois grotesque jamais vulgaire. Elle est la sorcière inventée de la ville souterraine où nous finirons notre nuit, au bord des sentiments qui deviendront des spasmes, au seuil de toutes les couleurs qui envahiront le sous-sol déserté d'Alep.
Grandeur d'Alep, grandeur du souterrain.
Alep a cette vision d'elle-même, elle en joue, elle en jouit et si les hommes en noir, l'accaparant pour la plier à leurs désirs - de faux désirs pour renverser le ciel et la conformer à leurs mots - espèrent gagner sa confiance, elle y répond par un corps à corps monstrueux où, ouverte et gonflée de sang, elle les noie, les broie, les renvoie à leurs tombes.
Alep est blanche quand elle se lève, blanche du matin qui commence, blanche inassouvie de la nuit.
FOULER LA TERRE
En prévision d'un retour et, dans ce trajet, une rencontre ; en prévision d'un grand désir dans un espace à peine plus grand que lui, un dé à coudre suffirait ; en prévision d'une lumière qui soulignerait un plissement d'œil, un pli moqueur de la bouche ; en prévision de cette incertitude à satisfaire le cœur, la raison, cette petite-âme-entre-les-deux et qui ferait rebrousser chemin, mais à l'envers, à contre-cœur ; en prévision d'une lumière plus éblouissante à l'approche des maisons qui se resserrent, des ruelles qui deviennent plus étroites, des étoiles devenues grouillantes dans l'eau des caniveaux ; en prévision de cette explosion rare des parfums et des couleurs dans la foule massée sur le seuil du monde à venir, tant espéré, tant redouté ; en prévision d'une grande clameur, bras levés, en foulant le tapis de braise du désir et de la reconnaissance dans une palabre de rédemption, mais c'est le cœur qui tremble et qui saute, et le souffle qui déraisonne ; en prévision de ce plein de sentiment qui alourdit les membres et allège la peur, la peur de cette terre qui monte en soi et rayonne inexorablement.