Voisins des arpents

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Nous voilà rencontrés, la terre et nous...

Nous cassons comme du verre dès qu'il s'agit de dire les raisons de notre écriture. Nous avançons et nous comprenons l'extrême lassitude qui nous mène et nous fait réagir. Mais à ce jeu de sauts et de signes, nous sommes toujours tentés d'apporter des réponses rapides et facilement définitives.
Avouons nos contradictions, nos heurts répétés à tracer des signes parfois dérisoires.
Lassitude et envie. Dans la jouissance charpentée, que nous dressons, nous trouvons aussi notre compte, les raisons de nos raisons. Les coups frappés à notre main à l'approche des mots - mots de nature et mots de cœur - facilitent nos appréhensions

I - Pensez-vous qu'on puisse vivre sans amertume ?
N'est-elle pas l'alliée obligée de la joie ? Peut-elle nous délivrer, du moins nous délier de la mort ? A-t-on jamais supposé qu'elle pouvait trahir l'inespéré ?

II - "De ce désir sans fête"
Nul doute, l'unique fait retenu contre le silence est d'apparaître masqué - masqué de feu. Pour qui sait vivre, cela n'avait guère plus d'importance qu'une feuille rompue sous l'orage.
Pourtant ! Pourtant, si le feuillage casse, comment désormais franchirons-nous l'espace ? Où s'adresser, où s'appuyer s'il vit arrêté ?
"Et du noyau de la chair défaite"
Si, haché par ses juges, nous sommes dans l’impossibilité de l'élever, de nous y réfugier, par quel moyen nous empêcher de ne pas dire assez ?

III - Quelle déroute ce cœur, ou quelle joie ! Martin a grandi, je crois, il ne regarde plus la mer, il l'écoute. Il sait mieux s'arrêter, prévoyant excessif de la lumière et du silence.
Excès d'instinct, excès de cœur.
Au bout de buissons lentement écartés, au bout d'épines patiemment retirées, la jouissance à la justesse de ces buissons, de ces épines : justesse à écarter l'insolent, justesse à prévoir la blessure.
Si le chemin nous mène et si le sang nous consume, avons-nous assez de cet excès pour ne jamais cesser d'être cette jouissance débordée ?

IV - Avez-vous un masque, un lieu déjà ouvert, une rive abordée de barques noires ? Quelle était votre vie, le temps d'une respiration, quand demain, je vous aurai rencontré ?
Passez-vous quelques fois?

V - Pensez-vous utile le souvenir ?
    le souvenir, je veux dire la mémoire des faits, la date précise, l'instant attendu ;
    utile, je veux dire nécessaire, fondement, lieu réel mais intangible de la possibilité d'être ;
    pensée, je veux dire croyance acquise, construction, besoin mental, garde-fou ;
ou bien, pensez-vous à vous souvenir ?

VI - Quel refuge sera le meilleur ? L'apparente facilité du feu, l'abri rude de la mer, le cœur léger de ne rien devoir ?
Ou quelle amante saura nous courtiser jusqu'à lui céder ? (que ce ne soit jamais d'ennui)
Pourquoi nous donner des raisons ; même sans raison avançons-nous et meurtris plus avant réussirons-nous quand même à être ?
Je ne serai jamais utile
ni à vous ni à moi-même, plus à moi-même qu'aux autres.
En peu de mots, ce refuge ou cette amante ont-ils réalité, pesante chaleur d'aller ?

VII - De quels mots ne jamais s'encombrer ?
Pourquoi ai-je voyagé et pourquoi suis-je revenu ?
La mémoire ne se fie plus à ses rêves. Elle a trop regardé ou trop senti les effets qu'elle produisait. Le voyage n'a pas duré.
Est-ce faute de moyens, notre piétinement ?
Est-ce manque de silence, ce long silence ?
Est-ce seulement possible, ce voyage consenti ?
A bout de mots et à bout de raison, les uns sont rapides à désigner la mort, l'autre la supporte à rebrousse-cœur.
Pourrons-nous seulement commencer ?

VIII - A bordure de chemin, l'hirondelle frôle la terre. Quelle lassitude sous son aile noire !
Le monde plie, le monde casse . Qu'en est-il du chemin ?
A bordure de jour, le feu se dérobe, la mémoire feint, hier a fini, présent écrasé.
Qu'en est-il du jour ?
A bordure de main, le geste s'est arrêté, le silence s'est effacé.
Bonjour n'est plus de mise, hocher la tête suffit, qu'en est-il de la main ?
Que désespérer de plus ?

IX - A la lisière d'un poème qui n'est jamais écrit, dans l'incertitude de mots intraduisibles, nous arpentons mille feux, mille silences.
Que notre raison soit bonne, au moins une fois !
Qu'elle fasse bombance plus que de coutume et, si pour s'alarmer, elle sent le besoin de dire et de déchirer que ce soit avec joie et avec peine.
Avec joie quand elle doute, avec peine quand elle croit.
Notre plaisir est-il à ce point fragile qu'il nous faut avancer, toujours avancer à bord de mots chavirés ?

X - Cette lettre me vaudra tous les tourments, car il faudra tout dire et faire silence aussi.
Dire : je ne peux porter mon oubli sans le casser, sans l'entamer avec des mots tachés et irrémédiablement faux
car mon oubli ne vaut qu'un instant et les mots qui le désignent le fixent à jamais
car mon oubli est une mémoire de feu, incomplète, pour moitié cendre - réellement.
Dire : l'absence n'est rien. C'est un fait.
Dire : la mort est insoutenable
car il s'agit d'arrêt, disparition, fin
car il s'agit de rêves inachevés, refusés
car rien n'est vrai si l'on continu séparé.
Dire : je n'écris que pour durer
mais durer à contresens, à contre-trouble
mais durer dans la mesure incomplète des êtres
mais durer pour finir d'oublier.
Une question : puis-je faire silence autrement qu'en disant très haut : mon oubli est illusion !

XI - Ma raison n'a pas de prise sur les faits qui guident mon oubli. Mon oubli se construit seul.
Oubli de choses, d'êtres, fausse mémoire des lieux, lieux inventés, hasard rencontré d'un rêve, hasard transformé en réalité, perception rayée, réception d'irréel.
Ce qui décide de ma vie est cette seule volonté d'observer mon oubli ou l'oubli des autres, les autres qui effacent, s'évertuent à perpétuer leur absence, leur dérisoire souffrance de vide.
Ce qui décide même de la raison, c'est le goût de durer pour finir sans idée de la durée ; des instants, de l'éclair ou de l'infini - la réalité.
Ce qui est en jeu, ce n'est même pas la raison, ni la vie, mais le besoin d'oubli.
Avez-vous l'expérience d'une mémoire défaillante, volontairement arrêtée ; l'expérience peut-être répétée d'une autre perception : anéantir la croyance afin d'espérer ou bien désirer naître à chaque pas accompli ?

XII - Le cours des choses nous empêche souvent d’espérer dans la nature des choses. Notre vie est délicate, elle a le vertige et sa nature malléable fait parfois que nous devons l'oublier. Installées à demeure, nous disposons d'une multitude de sensations, seules quelques-unes résistent, seules quelques rares avances nous plongent aux lointaines heures de notre existence - cela pour le simple plaisir, l'unique jouissance de s'en dégager et de revenir au vide fulgurant de notre mémoire. Et un vide nécessaire. A ce vide s'ajoute l'attente, la palpitation de l'attente, voir disparaître dans une lenteur mesurée nos marques, nos images de talus escaladés, d'herbes chaudes, de chemins battus de pluie odorante. Se retrouver enfin. Que signifierait cet oubli s'il ne promettait pas notre retour, cette passion complice des choses vues et aimées? Passion patiente à reconstruire le cœur.

XIII - Avez-vous de la mémoire ? Ou mieux, la supportez-vous ? Quels sont vos oublis, vos heures d'entretien, ces paroles échangées contre l'infini du temps ? Est-il pensable que sans oubli nous puissions durer ? Durer pour à nouveau parfaire nos raisons d'oublier ? Je ne dis pas rayer, enterrer, se museler mais profiter de cette fraction de silence où tout supportable devient insupportable pour faire de notre oubli la raison d'un avenir agacé, crié, dénoncé ?

XIV - Contre le silence, que faites-vous ?
Notre sagesse est tout entière dans le soleil qui la brûle et nos cris ne sont qu'une maigre idée de ceux lancés à notre naissance, et tout ne dure qu'un instant.
Respiration, état, puis le silence.
Contre le silence, usez-vous de la mélancolie ?
Nous claquons dans nos paroles pour tenter de nous rétablir et nous ne savons nous taire pour mieux écouter, y-a-t-il quelqu'un qui parle ?
Contre le silence, essayez-vous d'abolir la durée ?
Pouvons-nous être magicien, écouter respirer, tenter d'être sans répulsion ?
Pour le silence, après coups et bourrades, quels mots devenus soudain réels, quelle vie soulevée consentez-vous à porter?

XV - Nos jours ne sont pas comptés et ne font pas l'objet d'une géométrie, d'un calcul alignant.
Jours passés, jours rêvés.
Nous dérivons en plein soleil vers son creux éphémère.
Avons-nous déraison quand notre regard ranime le feuillage qui semblait endormi ? Avons-nous folie quand notre main ou son ombre effraie le lézard et, qu'en sa fuite, il nous bouscule encore ?

XVI - Nous agissons, indifférents aux lieux de notre écriture. Notre possible écriture.
Avec joie, nous pouvons parfois contredire aux signes qui nous attachent.
Avec lassitude, nous contournons le reste : l'apparence de raison, des images de vertu, une vraisemblance de loyauté.
Pensez-vous vivable la passion inutile qui nous force à écrire au milieu de feux éteints et d'incendies répétés ?
Pensez-vous possible le jeux de nos mots, sans illusion, ce jeu qui nous assurerait de notre oubli, de notre sens, de notre raison des choses, de notre vie ?
Est-ce dérisoire ?

XVII - Nous avons de la nature une juste vision, mais toujours éparse, morcelée, dérisoire.
Dans la pièce fermée du cœur, il y a une nature inachevée, encore intacte. Elle a, du rêve, l'espérance et de la lucidité, l'aigreur. Elle est un mélange de feux.
A cette nature, nous devons de pouvoir aller, poursuivre, s'aventurer. Mais jusqu'à quel degré du possible ?
A cette nature, nous devons d'avoir raison de l'oubli, l'oubli d'une raison dormante.
Mais pour combien de regards perdus ?

XVIII - Au cours des heurts, nous avons soupçonné que les nuances étaient encore nécessaires.
Les heurts et les frôlements à bout de chemin.
Les heurts inventés pour d'anciennes raisons de naître ? Avez-vous parfois souvenance d’apparaître ?

XIX - A emmagasiner le cœur, n'y-a-t-il pas à craindre l'oubli et l'oubli du silence ?
Sommes-nous assez certains de pouvoir tenir le souffle ?
Nous voilà rencontrés, la Terre et nous, au bord des pièges du souvenir, nous voilà arrêtés.
Quel silence avons-nous ainsi détruit ?

Voisins d'arpentage

Plusieurs fois, dans plusieurs vies, le geste à peine né, tout entier complice, jeté dans le silence pour éviter de longs détours de mots, le geste à peine né des gestes qui l’entourent nous distrait de la peur, la hantise de tomber.

I - Nous n’avons plus sommeil
Déjà, nous concilions d’extrêmes exigences qui pincent le cœur, font paraître nus nos mots inéchangeables.
La nuit n’est plus la nuit, jaloux désordre d’un désordre plus sage.

La main considérable qui limite notre esprit s’apprête à se briser, lumineuse d’entre toutes les étoiles.
Nous rions d’amertume et détruisons, pour chaque jour soulevé, notre unique compagnie.

Enfin, le froid se calme, la nuit devient la nuit.

II - Cœur de verre, cœur de temps. Toujours à temps dans la parole.
Quand nous avons conclu avec l’adversité un accord de diable, pensions-nous à l’obligeance de nos gestes ?

Espérons-nous mieux ?
Ou faut-il, un jour et ailleurs, se défaire des astreintes et des esprits qui les tissent ?

III - Nous vivons de paroles suspendues, forcément inachevées, à contrecœur et de mots débordants, pourvoyeurs hâtifs d’instants mal ordonnés.

IV - Si nous perdons la familiarité de la confidence, ou des simples mots qui nous unissent de loin en loin ; si nous ne savons plus nous accommoder des rires ou des cris, parfois de trop nombreux regards ; si nous empêchons un geste complice, celui qui joue du quotidien, tout entier aujourd’hui ; si pour satisfaire le cœur ou la raison d’habitants anciens, douteurs d’amitié, nous laissons prévaloir une indifférence réciproque ; si nous cassons comme verre à chaque fil tendu et vif d’amertume ; nous n’aurons jamais assez de patience partagée pour préserver l’instant de l’instant dans lequel nous avançons encore, le creux de silence où nous pourrons toujours parler, et nous taire quand nous aurons trop douté.

V - Amertume
Le point d’appui, c’est l’espace vide au-dessus du regard, le point sensible d’une douce exiguïté.
Rêvé, à peine guetté, guetteur d’ombre, nous l’avons soulevé et gardé bras tendus en guise d’appât.
Rien n’a vibré dans l’œil bleu rivé à nous.

VI - Le feu ne brise pas les lieux d’errance. La ruse est d’offrir un visage supposable, interprétable.

VII - La machine intacte des images, le trait jamais fini d’un instant de lumière, moment distinct des sens. J’ai toujours eu peur d’avancer, jamais de tourner.

VIII - A penser les gestes, leur histoire lentement lue, nous partageons une veille d’ailleurs séparés.
Quand nous parlerons, quand nous dirons les mots, quand nous pourrons rire et garder les seules impatiences acceptables...

XIX - Haute, haute toujours tenue
Venue tôt me surprendre, j’ai cru garder la ligne à peine visible du mouvement d’aile de sa main. Pensez ! Une main irréelle, inavouable en somme ! Une trace soulevée sous la lumière, ni blessante ni pesante, justement arrêtée au point droit de ma mémoire. Et toujours recommencée, comme une blessure, elle s’appuie sans toucher.

X - Un exil ordinaire
A peine un souffle d’air tremble le rosier planté à bord de grillage.
A peine, juste cette suffisance d’un jour doré de septembre où un orage tourne et toujours invisible. A peine le frisson d’une fin de jour, ce sentiment sans provocation d’une fin.
A peine la mémoire faillit-elle à son devoir d’effacement.

XI - Réunis à l’extrême lassitude de ce qui nous mène, dans l’erreur de nos jugements, notre parole n’ose plus.
Réunis, pour quelles éphémères rigueurs, pour quel silence dont l’aiguisante nécessité manque ?

XII - Nous agissons, désordonnés, presque soucieux du désordre même, malicieux à l’occasion.
Justice soupçonnée des choses.

XIII - A force de tourner, en tournant encore, aucun silence n’affaiblira l’esprit passionné de feu. Rien ne jaillit s’il n’est d’avance entouré d’espace.

XIV - Nous occupons le temps comme des ignorants. Chapardeur d’artifice d’instant, maigre pitance. En échange de peu de bonheur, nous ajoutons à la crainte d’aller, la peur de disparaître.
Quand cesserons-nous de nous interdire l’allégement du cœur ?

XV - Astreintes
Soulevée à peine, presque à terre, rencontrée, déformée, visible simultanément des quatre fenêtres - avancée de ciel - juste un instant touchée, elle signifie à l’aune des faits oubliés, l’avenir du cœur. Sans s’apaiser se fond, sans peser s’ouvre. Mémoire,  indélicat testament, qui favorises-tu ?
Quel ouvrage à défaire quand tout, déjà, s’efface ? Quelle main retenue a tenté de battre ?

XVI - Petit bonhomme récalcitrant, tu me joues des tours. Tu parles assez fort pour détourner la conversation. T’imagines-tu souverain à ce point ?
Cette giclée d’amertume quand tu ris.

XVII - J’ai des mains maladroites d’un enfant, oublié en bout de table. Tout ce qui bouge alors est encerclé du regard, tout ce qui bouge, effacé.

XVIII - Il sera dur de se tenir éveillé sous les effeuillements des dérisions accumulées et, si, à l’improbable, notre regard cille et se ferme, notre esprit claquera comme un fouet à visage de feu.
En prenant la peine de poursuivre à bras et cœur ouverts, méfiants pourtant des plus offrants, nous saurons gagner sur le sommeil notre part commune de joie ascendante.

XIX - D’un vertige à l’autre, Démon d’amour
j’ai appris à te vivre
j’ai appris amie de douce guerre, assise, les yeux nus
j’ai appris à tourner, arrêté sur le ciel
définitif, magique, la terre plantée dans le ventre
donnée pour donnée, l’espérance est battue.

XX - Nous partageons mal, c’est notre disgrâce. Nous défaisons l’horlogerie exacte. Devant les pièces amoncelées, notre mémoire se distrait de silence et nous devinons que notre cœur, lui, ne se taira pas - indémontable, imprenable sagacité.

XXI - C’est la mémoire, cette passante masquée qui nous tente dans sa barque échouée, pour un voyage d’immobiles astreintes, de feints retours dans le cœur.
Le temps d’aller nous encombre.
A reconstruire le jour, chaque jour venant, imagine-t-on qu’il a déjà fui ? Dans l’ombre, ce n’est que l’ombre.

XXII - Arpenteur défiguré, l’espace blanc qui tient lieu d’espérance est un défaut de fabrication, une ruse de feu sous le feu de la main.

Je ne mourrai pas

I - Nous nous réveillerons avec des mains démesurées, des gestes heurtés, sans doute contre nature. Demain, nous naviguerons peu maîtres de nos exigences, de nos rumeurs, de l’excès et de l’absence.
Avant, la nuit sera agaçante, martelée d’étoiles, longue séquence de désordre, forcément silencieuse. Et nous réveillant, notre mémoire, d’ordinaire pure ligne de vertige, parfaite, notre mémoire sera blanche et morte, inutile.
Sur les talus odorants de nos adolescences, les traces d’herbe écrasée de nos pas auront disparu. Nos regards glisseront à travers les herbes devenues bleues. Le souffle rapproché du soleil ne nous empêchera pas de mentir.
A peine plus haut, un oiseau - quel est son nom ? - insistera de sa patience aiguë pour nous aider à franchir notre peur.

II - Je t’ai regardé grandir plus grand que moi avant moi. Je te suivais. J’ai maladroitement interrompu notre conversation. Cette inadvertance de la vie. Prolongeons le monde. J’ai changé de quartier, changé de monde. Sous le soleil, je manquais de lumière. Tout le soleil est dans ma tête. J’ai changé d’habits, mes derniers espoirs sont devenus lassitude, réceptacle plat, planche blanche où je m’assois, sans envie.

III - Moon Over Bourbon Street
J’arrache à mes jours passés le peu d’errance qui restait de mes rêves. Sous les toits, des arbres, enfermés. Je prends en défaut mes habitudes, ces traits successifs du plaisir et de la peur. J’arpente des lumières étincelées. J’aime ainsi guetter les obstacles, les feintes dressées par le hasard, joueur de mots et de monde, artificier placé sur ma route, bricoleur d’incertitudes.

IV - La rame frappée sur l’eau, le neuvième jour de notre vie, a réveillé, étonnée, la mésange. Elle s’attarde maintenant, plaisir né à ce détour de rive.

V - Qu’attends-tu de l’Afrique ?
Un éternel désaccord quand il m’arrive de passer une nuit avec une femme. L’erreur est de t’attendre, d’ouvrir et de fermer les fenêtres sur une forêt désertée, d’écrire à l’adresse habituelle.

VI - Serions-nous, vivants, enfin prêts pour écrire l’histoire de l’histoire, l’illusion répétée d’images blanches, cet instant interdit, face à face ?

VII - Par-dessus les toits, dans une ville ouverte sur les étoiles… Pour apprendre, il faut être deux. Qui peut dire les mots ? Où chercher ? Le regard est une pensée, la chose regardée jamais visible. Franchir cette misérable passerelle, respirer enfin, la mémoire s’invente… Nous nous arrachons de la souffrance par cent petits signes, faiseurs de contes quand la raison cède à ses fins. Jamais un roman ne racontera la patience du désespoir. L’éternité cassée de la Montagne Sainte Victoire respire en nous, s’agenouille en nous, nous réservant le premier vin à la table déserte du ciel.

VIII - Nous devançons toute mort
En apprenant la vérité, nous gagnons notre part de solitude, une part d’imprévu sur la vie. Est-ce cela la vérité ? Cette pièce manquante dans la forge du monde ? Est-ce cela la vérité ? Une erreur d’appréciation ?
“Je partirai” disait une voix dans ma tête. “Je partirai quand les faux bonheurs m’atteindront”. La rive murmurante des prochains voyages est une flaque boueuse. Fallait-il s’y précipiter, affaiblir ainsi la seule raison d’aller ? Aller, voilà le terme. Nous avons cédé à la tentation d’être, autre part, autre chose.

IX - Je ne mourrai pas. J’écouterai le vent d’été, je plongerai dans l’ombre verte d’un début d’orage, au bout d’une promenade sur des sentiers blancs, j’inventerai la géographie de cette éternité, j’ai l’éternité pour m’y perdre et recommencer.

X - Quel était l’éphémère ? Qui dansa, boitillant ? Ami fugitif, tu m’emportas dans ta main sourcilleuse, à force je finirai bien par tourner comme toi.

XI - J’attendais pour cette vie un soupçon d’illusion. Il n’y a pas d’histoire possible au début de l’histoire, aucun instant habitable.

XII - “Oublie-moi et je te serai rendue” dit-elle avant de se perdre dans les couloirs de ma tête
car le vent est sable, le soleil une nuit quand tu gardes les yeux ouverts, l’eau une forteresse d’ombre, élevée, aussitôt brisée si nos mains se séparent.
“Oublie-moi…” dit-elle, déjà effrayée que cela puisse être vrai, allongeant le pas pour sortir de ma tête
car le plaisir est geai fragile, bruissant ses ailes contre le ciel, le désir cette partie de dés écourtée, les mains des joueurs sont tranchées, le regard comme d’anciennes étoiles dont on ne perçoit plus la chaleur.
“…Et je te serai rendue” dit-elle alors que les sorties n’existent plus, murées pour la garder dans ma tête
car le temps est instant, délit d’ingérence dans le sommeil, où tes yeux rendent la nuit incertaine, où tous les éclats de feu sont des fruits de sang, pointes d’amour de ton ventre vorace.

XIII - Il est nécessaire ce peu de mémoire qui me tient lieu d’avancée sur le monde. Ce débarcadère branle bien souvent. C’est perversion de tout engranger à l’envi. La barque échouée regorge de preuves invraisemblables, d’existences nombreuses, d’attachements vides. Elle ne bougera plus. Le faussaire qui la perdra, loin de la mer, ne mentira pas. Ce sera à peine quelques mots dits rapidement, à peine un aveu : j’ai oublié.

XIV - Je suis assis et je marche. L’essentiel manque pourtant pour satisfaire mes besoins d’arpenteur : l’étendue, le silence étendu du jour et des nuits. Vrai et faux n’ont, dans cette place, aucune raison d’être.

XV - Un mot par jour, si je les compte tous.

Ce que tu fais

I - Nous tirerons de nos rêves matière à désespérer. Entourés d’herbes hautes, odorantes d’eau, nous laisserons entrer un feu blanc dans une bouche difficile à fermer. Le cri la déforme, car il crie, ourlé d’aigreur. Sous les paupières, une gerçure filante raie le silence. La main cherche dans la boue un appui réel…

II - La réalité n’est jamais la réalité donnée. Le rythme des heures des choses est chose abstraite. Son visage défait comme une imagination vide.

III - Mais à l’entendre, elle rit et pleure de son aventure, de ce qu’elle appelle un froissement, un pli sur le regard.
Masque ouvert sur l’invisible, masque bleu endormi. Dans les lenteurs du monde, il y a le corps qui éclate aussi brusquement qu’un nœud deviné se défait. Mais à l’entendre, elle rit et pleure…

IV - Réception d’étoiles au repas de la nuit et du ciel, réception d’orages au festin improvisé de tes prochains plaisirs. Il pleut droit, ce soir et j’imagine.

V - Il y a une mémoire magique dans notre mémoire vraie, un moment où l’agitation se fond au silence, où la souffrance est à pic, au droit moment de sa disparition, où le plaisir si fort soit-il dure, s’étend sur le temps, où l’espace devient le temps.
Et la mémoire feinte du plaisir, et le plaisir gagné et le désir feint, la faim de tourner, tourner, casser.

VI - La place où s’écrit le monde est réservé dans la bouche de l’ogre quotidien. Il tient les fils d’une main, poigne sévère sur la marche du ciel. L’autre nous balance entre des coups de cœurs et des mémoires grises. Notre excuse est de tenir malgré tout.

VII - Ce que tu fais, aime-le ! Ce que tu ne veux pas faire, aime-le aussi ! A la rencontre des jours, nous avons notre moment d’allégeance, moment-regard, moment-miroir.
Il est de vrais secrets que le cœur sait rêver.

VIII - Délivrés de nous, nous donnons à nos gestes ce rien d’amertume que le plaisir fait naître à la bordure des lèvres. Dans le feuillage du monde, je porte mon rêve.

IX - Ensuite nous obtiendrons le partage de nos rêves, seuls biens que nous ne pourront refuser lorsque seront passées les lignes d’effeuillage du sens.

X - Car la réalité n’était essentielle à ses yeux que dans les instants défaits de ses voyages. C’est-à-dire dans le creux d’éclair entre sommeil et réveil, sur le fil surpris d’un clin d’œil.
Car voici le moment où, debout, il entre dans le plaisir, libre dans les respirations successives du monde.

Car la réalité…