A Baptiste
Billets chaque
fois glissés dans un livre, puis oubliés. Neuf billets conservés,
puis mis
ensemble, donnent dix ans de la vie d'un père.
Baptiste aujourd'hui, 27 janvier 2008, a 25 ans - Bon anniversaire.
__________________1984
Tant d’images frappent notre
porte, tant de cordes pincées, tant de traverses empruntées et, à peine debout,
déjà il ravit notre esprit, nous bouscule par petits poings lancés à son
hasard.
Il feint de désespérer notre
monde ; j’ai appris à le croire, à l’emporter, suffisamment blotti pour lutter
du froid et de la peur ; et debout, dans les bras, s’essayant au regard
d’homme, il plaît à qui s’astreint à le craindre.
__________________1985
Entre désinvolture et
intransigeance, entre lune et soleil, grand inquisiteur et amant instinctif,
assis en pleine terre ou fredonnant sur un fil, il traverse mes âges,
subtilisés à peine entrevus.
Il sait jouer, donner et aimer
et grandir. J’ai toute patience pour apprendre auprès de lui.
__________________1986
C’est en retard que le cours des
choses reprend sa place. Il a les yeux de ma mémoire et la fragilité d’une
grande impatience. Debout, toujours un peu loin, mais proche de voix, grand
voyageur de la pensée sur le bout de chemin que nous menons ensemble, il
m’apprend à voir, à deux doigts de l’insouciance.
__________________1987
Si ce n’est toi, c’est moi. Si
ce n’est moi, c’est toi. L’épaule couchée du soir nous livre son secret le plus
terrible : tout nous séparera. Tu grandiras pour m’attraper.
Au point où nous sommes, nos
confidences sont, joue contre joue, les plus certains instants de notre avance.
__________________1988
Je te porte encore, mouvement de
mes mouvements, ligne heureuse de ma ressemblance.
Je te porte, mains de vérité et
tes poings finiront par frapper juste.
Tu m’emporteras malgré tout.
Démon de mes âges ensevelis, quand tu auras le vertige, je te porterai.
Je te porte encore.
__________________1989
Déjà tu lis sur les lèvres des
jours les jours passées, les jours ici, les mots avenir, demain, plus grand. Ta
main sure me tient. Il me semble loin le jour où tu es né. Il me semble loin le
jour où je te connaitrai.
Patience, un instant. Retardons
nos avances, j’en ai peur. As-tu envie d’autres histoires que celles qui
m’astreignent ? Raconte, raconte encore.
__________________1990
Tu prends la peine de satisfaire
ton indépendance, assis à l’indienne sur un nuage où je n’ai plus accès.
L’échelle est tombée. Je la remonte, je remonte le temps. Et toi, toujours
recueilli sur le feuillage du monde, tu m’as pris dans tes bras et tu m’as
oublié. Allez, du courage !
__________________1991
Billet
perdu de cette neuvième année…
__________________1992
J’aurais pu t’oublier, je
l’avoue. J’ai toutes les raisons de lâcher enfin cette main qui me tient. Tu es
le garçon que j’imaginais devenir. Cela suffit pour nous quitter. Ce
rendez-vous que tu me donnes à chaque année passée, je ne m’y rendrai plus. Le
perpétuer serait coquetterie et trahison. Les armes ne sont plus égales pour
lutter avec toi. Je n’ai plus assez de toute ma pensée pour te saisir en une
seule fois. Ainsi tout fils perdra son père. J’aime mieux ce que nous
débuterons demain et que j’ignore encore.
(Dijon-Paris / 1984-1992)