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A l'avenir
Déjà... Se lever. Subtiliser une part de ciel. Ne pas dire merci.
Pour mémoire (1)
Entrelacer le feu à l'avant de ce ciel. Impunément. Irrésistiblement. La langue foudroie ce qu'elle touche.
Libération
Le ciel en trompe-l’œil - ajusté, fini - rend impossible la vision de l’œil sur le ciel. Le réceptacle s'effondre sur lui-même. Décidément, il faudra relever les étais et les arches, poser de nouvelles pierres, redresser les perspectives, placer aux bons endroits - les moins froids, les plus lointains - de nouvelles sentinelles, les détacher d'elles-mêmes pour que l'écho qui nait d'elles ne fasse qu'une voix et qu'un passage vers le ciel.
Aparté
Le ciel s'appuie à bordure de vie du toit. Voilà le rêve fini : chaque chose est à sa place jusqu'au retournement du ciel dans un mouvement latéral imprévu, bleu jusqu'au sang.
Aux aguets
Magnifique désir de ciel : profond à profusion - devant et derrière - profond jusqu'à en perdre la vue, de tous les côtés où l'on puisse se tourner. Irrépressible besoin de le garder intact, où aucun n'a mis ses pas, où aucun n'y serait légitime. Et s'asseoir sur des terrasses ouvertes, et recommencer.
Arrivée
Le ciel irradie ses œuvres dans les limites de ses rives, arrimé aux nœuds des orages et des étais qui le soulèvent, dans un mouvement lent, hautain et sensuel.
Voilà le feu qui prend, dégorge ses lumières aux confins des regards. Voilà le feu en soi arrivé à sa perte, perdu encore, se perdre.
Archange
Le ciel nidifie à l’à-pic de sa destination : le silence.
A l’arrêt
Parfois le ciel s’effondre en indénombrables scintillements de cendre, interminablement jusqu’aux larmes. Il faut du souffle pour reprendre la vie, revenir de cet étourdissement qui nous priva un instant de cette vision, réapparaître jamais intact de la mort juste frôlée, réapprendre à marcher sans main pour nous tenir.
Grandeur et mesure
Parfaire la mesure. Qu’elle soit toutes les mesures, des entrailles au sommet du ciel. Dans sa régularité, son ordre et sa justesse. Que le ciel prenne sa place et que le ciel soit la mesure. Assurément le regard ne sera pas assez large pour saisir tout l’espace qui fuse en lui.
Alerte
A l’horizon qui cède sur ses arrières, une lisière flamboyante rehausse son phrasé, son allure, sa chute clame encore sa naissance dans la mort qui l’attend. Voilà la limite : comme un mal de reins qui irradie le cœur.
A l’aveugle
Il y a de l’amertume dans ce bout de mer qui chavire entre des murs et du ciel, mais un ciel haut que rien ne retient de s’ouvrir encore, aucun oiseau, aucun nuage, aucune brise, un ciel qui fait le vide en lui ; puis revenir aux murs qui finalement l’enserrent encore mais comme une échappée de plus dans sa matière bleue ; tenir longtemps le souffle d’un regard franc, tenir en haleine son propre vertige à le penser irréel, au-delà, mais ne tiendrait-il pas dans notre main ?
Passionnément
Donne sans arrière pensée, retiens à loisir, où tu gardes et où tu donnes ; prends garde à céder ce que tu recevrais.
Aller pas à pas
Les royaumes à-demi sont des foulées de feuilles dispersées sur les arpents inondés de leur lumière subreptice, intersticielle, réservée pour la mort à venir. La grande magie de l’instantané.
A la première secousse
La grande affaire que ce silence interrompu pour d’autres silences. Cette histoire est finie, la limite est franchie dans un nouveau silence, dans un soupir, un effraiement du souffle qui s’arrête. La grande affaire ! Ce feu dans le silence éteint.
Grande précision
L’orage est comme une fleur : posé sur le fond du ciel, il implose et fleurit.
Partition
Le va et vient du ciel, marqué, soulevé et cette parole assombrie, si peu mouvante, mourante, abandonnée et ce souffle qui pleure, si peu alarmé, gisant, défait et l’ombre qui revient, pour si peu, depuis le ciel se tait.
Prémunir
Ne retiens rien du ciel, il te ment. Il brade ses orages à qui veut les prendre. Il te rendra aveugle. Ne passe plus à genoux. Démembre tous les étais qui le tenaient. Mens mieux.
Brigandage
Le grand feu du soleil mourra dans ta main quand tu le voudras.
Masquer la place
Le ciel finit sa course dans l’ombre des arbres, au plus bas de la terre, dans le froissement noir des branches écartelées, interdites. Le ciel n’a pas fini de croire à sa résurection mais tant attendue, mais comme un incident de sa fuite vers le haut, mais tout tendu entre les fils qui le tiennent attaché aux arbres immobiles, enfermés.
A perte d’illusion
Autrement la plainte et le regret, l’invocation des dieux morts ou qui n’ont jamais existé ; autrement le seul secours, le refuge inventé ; autrement la prison, tous les sanctuaires désertés. Aimant ce passage devenu fissure. Autrement esquivé.
Ruse
Réminiscence d’Orion, plantée vertigineuse, soudainement devenue arpent démesuré du ciel, en partance dans sa profondeur. Quand sa respiration tressaute les rives étoilées du vide, in mémoriam.
S’élever
Le ciel est à sa place dans cette trouée bleue, vue du ciel qui descend. Cette ombre le tient, le soulève presque, lui donne sa densité. Rien n’est plus visible qu’un ciel qui se cache dans les blessures blanches du matin. Revenir le jour d’après et tous les jours suivants. Entre temps fermer les yeux, douter de lui, l’imaginer encore ouvert, débordé, installé sur lui-même qui s’éloigne.
Entre nous
Comme un ciel fermé, cassé en dedans. Jamais le visible l’emporte. Il suffit de passer, écarter les bras, sentir sa peau en soi, passer encore jusqu’au soir.
Arrangement
Cette avancée sur le ciel débouche abruptement sur un mur, banal, trop haut, sans prise. Un écart ou une volte-face auraient été suffisants pour abréger cette vision. Pourquoi ne l’avons-nous fait ?
Grande aventure
La rive espiègle du bord du monde, entre haies et marais, à la jonction des interdits, dans cet endroit reculé du silence qui laisse la respiration libre et le rêve neuf. Enfin gagné par un ciel reposé de ses couleurs !
A fleur de peau
Les arbres tombent dans le ciel avec la brusquerie d’un éclat de voix et, à mesure que l’ombre gagne sur l’orage – malgré ce que tu en diras – elle devient l’ombre d’un seul pas – un seul chemin possible – qui meurt parfois, infranchissable. Les arbres tombent dans le ciel avec de grands éclats de voix, maltraités, délivrés pourtant des rives qu’ils assombrissent mais qu’ils calment.
Tradition
Il y eut la tradition du ciel muré, assujetti et l’épervier qui tombe foudroyé ; il y eut des projets d’un ciel plus vaste, presque égaré dans sa majesté, où le doigt pointé ne brise qu’un vide blanc ; il y eut des esquisses d’un ciel lavé, élancé mais inachevé qui ne sait pas sa limite ; il y eut le rêve d’un ciel irradié, inondé de lui-même, mais un rêve et il y a le ciel fermé, rond où l’épervier tombe encore, foudroyé, inchangé.
Mais il n’y a plus de ciel, dispersé et les rives comme les horizons qui le tenaient ne se déploient plus, refermés dans leurs plis et cette vision qui manque, cette histoire qui ne dit pas sa fin, cette histoire de soi, notre regard qui se vide – en somme cette vision est morte.
A la rencontre
Les royaumes à-demi sont les devants de notre inexpérience face à l’arbre debout, tout en lui seuil de la vie et du silence, de l’espérance et du destin, du ciel qui le prend et l’enchaine au monde. L’arbre, plus loin, au fond inexploré du pré.
Irruption
Sous le ciel, nous sommes seuls.
Sur le ciel
Délaisser le chant de l’alouette, lui préférer l’immobilité d’Uzès. Il y a des silences qui tombent d’un coup, qui nous tombent sur la tête et nous n’y pouvons rien. Nous acceptons ce désert tant que le ciel reste à sa place dans sa rigueur résignée et que nous pouvons lever les yeux pour, un instant, s’y perdre aussi, et l’alouette se tait, en cœur libre.
A la devanture
Dans cette ombre, partagée de gauche à droite par une ligne plus claire, dégradée de bas en haut du plus sombre au plus lumineux, selon que le regard s'attarde sur la séparation ou sur les parties, selon les rencontres qui nous retiennent, selon la qualité du silence, selon la courbe qu'empreinte l'ombre de l'ombre, par moments plus dense (mais pas noire), selon le vent ou la pluie ou un rayon de soleil qui rendent, parce que la tentation de nous échapper est forte, l'ombre plus accueillante, dans cette ombre le monde a pris sa place, le monde en soi de l'ombre.
La belle envolée
En l'air, suspendu à la bordure de ce qui pourrait être un horizon, sa ligne de la main, son firmament, la courbe qui le tient dans le ciel, l'oiseau prépare son vol, indifférent aux alentours. Il plie sur l'envers révulsé du vide, appuyé sur lui-même et monte par degré les degrés de sa prochaine disparition.
Le voilà ! Il ébauche la limite qu'il devient, tout à coup débauche de signes délicats, ardents, immenses, à lui-même son garde-fou et sa répétition, passant les obstacles invisibles de l'air. Là ! Là ! Encore et encore ! Quelle méthode !
Uzès, point de rupture
Sur les bas-côtés de la route d'Uzès, les herbes et les buissons mélangent leurs couleurs en tressant des festons et des torsades agitées sous le vent. Ranchi n'est pas loin, où la poussière élevée sur le ciel, jaune et noire, dessinait les lisières éphémères du pourtour du ciel.
A ce souvenir, joindre la carte du rendez-vous pliée en quatre.
Réverbération
Marquer le pas, ralentir. De gros nuages bouleversent les arrangements mentaux d’un ciel plein et fini. Ralentir, respirer lentement. Au détour du chemin, trouver une meilleure place pour apercevoir le début du monde qui s’ouvre à profusion. Ce serait un orage. Respirer lentement, s’arrêter. Saisir cette exhubérence intime du ciel qui tourne sur lui-même jusque dans notre chair. S’arrêter, reprendre souffle, trouver la vie, aller droit vers le creux du ciel en soi.
Pour mémoire (2)
Marquer les territoires, déplacer les buttées, extraire la poudre et le sang des barbelés. Trop d'absents rêvent de revenir, trop d'absents comptent encore.
Mais l'histoire fait sa place, de deuil en deuil, mais l'histoire est au commencement de l'ombre qui monte.
Les pas bleus
L’ombre descend, elle gagne sa place. Le vent ajuste ses illuminations dans les arbres des haies droites. L’ombre poursuit sa course. Le vent rehausse la lumière éparpillée des feuilles d’éclats bruissants. L’ombre va à sa mort et la plainte du vent monte vers le ciel, encore bleu.
Les matins précieux
Sur le pas de la porte - c'était au début du jour, la rue était silencieuse, cette odeur acre et humide de quelque brume de la nuit flottait encore en l'air, il ferait chaud - le monde est ouvert, c'est-à-dire prêt à surgir.
Mais à cet instant, ce qui importe est la main qui tient la main, qui glisse pourtant lentement en se quittant, subrepticement, mais pour un instant seulement.
Puis la rue s'agite, c'est-à-dire qu'il faut accepter, momentanément, de se perdre de vue. Devenir ordinaire en somme. Mais la main tient toujours la main, leurs traces sont irrévocables.
Tout recommencera.
A la grande porte
La grande porte est ouverte. En perspective, une allée droite cassée par l’ombre des arbres, de grands arbres mauves et bleus, irrésistiblement élevés vers le ciel et, au pied de l’ombre, les traces plus sombres, comme soulignées, des bords du chemin, lignes tirées de chaque côté de cette fuite en avant, mais arrêtée, immobile et intacte. Au fond, un petit bout de terre, à peine distinct du ciel, du reste du ciel caché par la masse éblouie des feuillages.
La grande porte est ouverte, c’est-à-dire qu’elle donne le cadre de cette vision majestueuse d’aplats bouleversés élancés - ordonnés - vers un vide blanc, qui surgit d’un autre vide, appuyé sur lui-même, débouchant sur d’autres visions à pic, pures, délivrées des obstacles du sol, éclairées par la seule lumière des bords du ciel.
La grande porte est ouverte, c’est-à-dire qu’elle ordonne un monde qui s’enflamme et qui brûle, subtil où l’ombre retenue se disperse de feuille en feuille – ne se détache pas – et revient, désamarrée un instant des branches qui la font naître, berceau fragile de cette clarté qui vient, réverbérée jusqu’au point où elle danse et, se mêlant à elle, éclate encore pour tomber et s’élever encore.
La grande porte est ouverte, c’est-à-dire qu’elle édifie le ciel jusque dans les soupirs et les silences qui se dissipent en lui, jusque dans les plus petits obstacles – les scrupules, les étoiles, d’autres mondes – sur lesquels il devient impalpable, immatérielle main tendue, garde-fou de toute l’architecture fluide qui nidifie à son sommet. La grande porte est ouverte et l’horizon, même entr’aperçu, planté droit, en face, est le vertige franc d’un ciel où il fait bon aller.
Exultatis !
Place ! Place ! Toute la place pour un royaume où la main donne et le regard tendu hausse le plaisir à sa perfection. Et si nous trouvons refuge dans des bras qui se referment sur nous, place encore les yeux fermés, place encore pour un bonheur ouvert.
Crescendo
La réalité est interminablement la réalité ; la terre, le sol, l’espace irrémédiablement eux-mêmes ; la femme, l’homme, les dieux, l’enfant décidément eux-mêmes et la réalité roule ses orages et ses plaintes dans les recoins ouverts de sa matière, matière diaphane, impalpable, souveraine.
Conséquence
Les royaumes à-demi se déplacent, vides désormais, gardés par des sentinelles grises. Ils se partagent encore, dévorés. Ils sont un seul ciel révulsé, projeté hors de lui, le toucher serait le perdre. Quand même le toucher, préférer vivre à ce prix.
A partir de ce jour
Mais le jour est venu, mais le voyage continue, mais la route déborde ses promesses, mais à l'arrêt dans la fumée d'une cigarette le ciel dérange ses couleurs, laissées intactes pourtant dans la vision qu'il donnait d’elles, mais la route reprend, mais le silence aidant, on s'éloigne de soi, mais on est que la route devant soi.
Entre temps
La haie familière abrite tous les morceaux bleus du ciel, dispersés entre les branches, à même le sol où les herbes finissent par les recouvrir. Le ciel prend son parti de cette situation singulière : être indécidable jusque dans ses refuges.
Le mouvement du monde
Il y a dans le mouvement du monde une blessure que porte le silence à exaspération. Nous avons détourné les yeux. Nous ne voyons plus cette blessure. La lumière est trop crue et le silence toujours indemne.
Et cette blessure monte en nous, intelligente, sans manquement à sa destination, sans détour pour progresser, avec cette main solide qui nous tient, sans défaut pour ce qu’elle accomplit, voilà une mise en scène parfaite.
Quand la réalité miroite au point de sa rupture, nous succombons à ses méthodes, cette minutie à ordonner notre vision et le désir de cette vision, décision de vivre inséparé d’elle-même malgré les heurts, la foudre et l’illusion.
Et dans l’entre-deux illuminé qui s’insinue en nous, plein au lieu de vide comme nous le pensions, plein des inventions de notre regard diverti de frissons inavouables, plein des murmures d’une nuit habitée, la vie reprend ses droits.
Rien que la vie, même assaillie, la vie dans un pas de danse, la vie dans un bond et ce pas sera suffisant pour atteindre le milieu du monde, simple et suffisante décision d’en fixer l’origine, la grâce et l’horizon.
Justice en somme
En ouverture, la réception des témoins. Suivant un ordre défini à l'avance.
Puis le partage.
Puis la traversée du ciel, un ciel clair posé sur un coin de ciel.
Puis l'histoire recommence, c'est-à-dire réception ordonnée du silence et déception de ne plus voir le ciel que replié.
Puis sortie de l'histoire.
Vient la fin, longtemps après, à ce moment où le ciel n'est plus le ciel mais seulement une absence, un oubli, un ourlet de plus sur la terre qui devient ombre, ombre d'elle-même.
Puis la fin. En final, rappeler les témoins, bavarder comme si de rien n'était.
Rien n'était. Rideau
Paris, Janvier 2005 - Août 2006